Jean Vautrin, Canicule

Mélange réussi de Cor­mac Mc Car­thy, Fré­dé­ric Dard et Michel Audiard

Dans la Beauce, sous un soleil de plomb, une famille de pay­sans vit son quo­ti­dien abru­tis­sant. Le temps semble s’être arrêté : les femmes servent les hommes, on vit à la dure, sans confort, de façon même inhu­maine. L’arrivée d’un tueur en cavale bou­le­verse le dérou­le­ment d’une jour­née d’été à la ferme.
Sou­dain, cha­cun dans son coin essaie de tirer le meilleur parti de cette pré­sence incon­grue. A la fois dan­ger et pro­messe d’un ave­nir meilleur. L’enfant, habi­tué aux coups de cein­ture de son beau-père, a vu l’Américain cacher son magot, il s’imagine aus­si­tôt en gang­ster vague­ment mafieux, res­pecté et craint ; la femme, sou­mise à son époux, une brute qu’elle exècre et à qui elle se refuse, envi­sage immé­dia­te­ment un échange de bons pro­cé­dés avec le fuyard ; la ser­vante boi­teuse, sorte de bête de foire nym­pho­mane qui n’a trouvé pour atti­rer l’attention que son appé­tit sexuel exa­cerbé et ani­mal, tente d’approcher le nou­vel arrivant.

Ce roman de 1982, adapté au cinéma par Yves Bois­set (avec Miou-Miou et Lee Mar­vin), n’est pas sans rap­pe­ler Cor­mack Mc Car­thy, dont on retrouve la cruauté des per­son­nages, de l’histoire et de l’écriture. Les plaines de la Beauce, les champs de blé acca­blés par une cha­leur décrite comme un per­son­nage à part entière, fai­sant office de Mid­west amé­ri­cain, avec son lot de loque­teux, mau­vais et avides.
L’écriture cisaillée, bru­tale même, frappe le lec­teur comme une suc­ces­sion de coups de poings. La pen­sée n’est pas enro­bée de fio­ri­tures, pas plus que la sor­di­dité des per­son­nages. La vio­lence, crue, ne se cache pas non plus sous le fard de phrases chan­tour­nées, ce qui en aug­mente la por­tée. L’influence amé­ri­caine de Jean Vau­trin s’exerce jusque dans le voca­bu­laire, notam­ment dans les inven­tions ver­bales dont regorgent les des­crip­tions : « il vient de hol­du­per », « un bruit flip-flappe vers lui », « l’appareil rase-motte »… Sauf quand il prend des accents d’Audiard mâtine de Fré­dé­ric Dard, tel un Titi pari­sien gouailleur : « Ni vu ni connu, j’t’andouille », « Et puis, a beau être des heures indues, jourd’hui, l’ordre, il s’en bat l’œil », « Si t’as des sou­cis graves, mets des chaus­sures trop petites », « Pour cause de son­ne­rie intem­pes­tive, le réveil prend une beigne dans le Mickey »… 

Finale­ment, cette his­toire dure, vio­lente et san­glante, ces per­son­nages des­si­nés sans man­sué­tude, cette écri­ture four­millant de trou­vailles font de Cani­cule un polar de grande qua­lité, et dont l’originalité à elle seule suf­fi­rait à en faire l’intérêt.

agathe de lastyns

Jean Vau­trin, Cani­cule, coll. Rivages Noir, Payot & Rivages, mars 2011, 332 p. — 9,00 €

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Filed under Non classé, Pôle noir / Thriller

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