La Dernière Bande (Samuel Beckett / Jacques Osinski)

Ultime geste infime

Déjà, cela ne com­mence pas. Parce que cela se pour­suit. On s’entend, même si on n’avait pas l’intention de s’écouter. Des bruits de salle, des bruits de scène sont per­cep­tibles dans le silence. On ne sait pas. Quand la lampe s’allume, il ne se passe rien : on découvre Krapp immo­bile, qui fixe le vide, à moins que ce soit le public. La pré­sence muette du per­son­nage qui fait durer le silence le plus long­temps pos­sible consti­tue une épreuve. Celle de l’ennui.
Avec des gestes obses­sion­nels, Denis Lavant pré­sente son per­son­nage et brosse un tableau aride, sobre et com­pul­sif du soli­taire pas­sif en quête de son iden­tité, de sa dura­bi­lité. Il en est comme d’une recherche de l’immobilité au tra­vers de tous ses rituels, le moindre mou­ve­ment spon­tané devenu para­site. L’évolution du spec­tacle en vient à rendre sus­pecte toute vel­léité. Et ques­tionne le désir. Au nom de quoi, de qui vivre, sinon durer ?

Long­temps, Krapp écoute une bande enre­gis­trée jadis, revient inlas­sa­ble­ment sur des pas­sages, cherche des mots dans le dic­tion­naire, se rabroue. Il habite tant bien que mal un pré­sent déserté par la vie à force de tour­ner le dos à l’avenir, pri­son­nier de son passé. De temps en temps, il va se ser­vir à boire dans la cui­sine. On ne le voit pas. On le devine. On le sait bien. C’est dans l’ordre des choses.
Le pro­pos est lent, déli­bé­ré­ment redon­dant, sem­blant cher­cher métho­di­que­ment à ralen­tir le temps et ses échéances. L’intention est claire, de nous situer aux limites de la mons­tra­tion, de nous ame­ner au point où la viduité de l’inaction confine à l’insulte.

Un spec­tacle sans conces­sion pour lequel les avis sont par­ta­gés. Pour l’un, pour­tant, la démarche s’épuise et ne prend pas l’auditoire. Comme si les choix de jeu venaient redou­bler l’expression du texte au lieu de lui don­ner une dyna­mique, fût-ce toute inté­rieure. Comme si l’approche du rien, de la pesante noir­ceur de l’existence brute lais­sait indemne celui qui s’y essaie et celui qui y assiste, au lieu de mani­fes­ter une ten­sion qui eût pu don­ner au spec­tacle son épais­seur scé­no­gra­phique.
Pour l’autre, ce dénue­ment spa­tial, lit­té­raire, théâ­tral et iden­ti­taire, lui a per­mis de faire l’expérience pleine de l’ennui : ennuyer, s’ennuyer, et sur­tout, essen­tiel­le­ment de l’autre. Pour mieux avoir envie et se réjouir de la suite.

Une fois la pièce ter­mi­née, Denis Lavant, grand gent­le­man sen­sible aux effets recher­chés et mul­tiples de ce qu’il vient de jouer, vient saluer avec fra­ter­nité et vita­lité en souf­flant sur le public qu’il a pris soin, au préa­lable, de prendre dans le creux de sa main.
En nous libé­rant de la sorte, il nous libère, singulièrement.

manon pou­liot & chris­tophe giolito


La Der­nière Bande

de Samuel Beckett

mise en scène Jacques Osinski

avec Denis Lavant

© Pierre Grosbois

Scé­no­gra­phie Chris­tophe Ouvrard ; lumières Cathe­rine Verheyde ; son Anthony Capelli ; cos­tumes Hélène Kri­ti­kos ; dra­ma­tur­gie Marie Potonet.

Au théâtre de l’Athénée — Théâtre Louis-Jouvet

Direc­tion Patrice Mar­ti­net Sq. de l’Opéra Louis-Jouvet

7 rue Bou­dreau — 75009 Paris

Billet­te­rie : 01 53 05 19 19

ecrire@athenee-theatre.com

Du 7 au 30 novembre 2019

grande salle – durée 1h15

Com­pa­gnie L’Aurore Boréale | coréa­li­sa­tion : Théâtre des Halles Scène d’Avignon, Athé­née Théâtre Louis-Jouvet | sou­tien : Arcal (accueil en rési­dence de création)

 

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