Un polar extrêmement prenant jusqu’à la dernière page.
On qualifie généralement Lisa Gardner de “manipulatrice”, ce qui, pour un auteur de romans policiers, est un compliment. Elle sait en effet à merveille comment entraîner ses lecteurs dans son jeu préféré du mensonge et de la vérité.
Dans La Maison d’à côté, son onzième thriller, on retrouve le commandant DD Warren, déjà présente dans Sauver sa peau, grand succès de l’année passée.
Ici, elle doit enquêter sur la mystérieuse disparition de Sandra Jones, jeune et jolie mère de famille, enseignante et épouse dévouée d’une banlieue chic du Sud de Boston. Les clés et le sac à main de Sandra sont toujours sur le comptoir de la cuisine, son paquet de copies corrigées aussi, et, plus surprenant encore, sa fillette chérie dort paisiblement dans sa chambre. C’est le mari de la victime, Jason Jones, reporter au Boston Daily, qui signale la disparition, découverte alors qu’il rentrait du journal en pleine nuit.
Dès qu’elle pénètre dans la coquette demeure trop bien rangée, DD se méfie instinctivement de cet époux trop secret, trop imperturbable, peu enclin à donner les renseignements nécessaires au bon déroulement de l’enquête. Plusieurs questions la taraudent : pourquoi a-t-il attendu trois longues heures avant de signaler la disparition ? comment a-t-on pu s’introduire dans cette maison verrouillée sans effraction ? pourquoi les portes et les fenêtres sont-elles si soigneusement blindées ? Ree, la fillette de quatre ans des Jones, dernière personne à avoir vu sa mère, a-t-elle été le témoin d’une scène qu’elle refuse de révéler ? pourquoi ne connaît-on aux Jones aucune fréquentation ?
Plus que tout le reste, c’est l’attitude de Jason et son regard indéchiffrable qui mettent l’inspectrice en alerte et le désignent comme le suspect numéro un. Il sera vite rejoint dans ce rôle par un voisin, Aidan Bewster, bientôt soupçonné en raison de son passé de délinquant sexuel.
Quand entrent en piste Maxwell Black, le père de Sandra, vieux juge apparemment peu scrupuleux et as du mensonge, Ethan Hastings, jeune prodige informatique et élève de l’école où travaille Sandra, visiblement épris de la jolie enseignante, et Wayne Reynolds, l’oncle du gamin, policier fédéral spécialisé dans la traque des cybercriminels, la liste des suspects et des possibles s’allonge de façon alarmante. A l’enquête traditionnelle de l’inspectrice se greffent les investigations personnelles des acteurs du drame : Sandra s’interrogeait sur son mari, qui lui-même questionnait sa femme, Aidan redoute les conséquences d’une éventuelle médiatisation de l’affaire, Ethan et Wayne soupçonnent Jason de malversations graves.
Les polars de Lisa Gardner ont comme point commun, outre le fait qu’ils sont dorénavant systématiquement des best-sellers aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, le suspense savamment distillé qui fait d’eux ce que les anglophones appellent des page turner : une fois ouverts, on ne peut se résoudre à les refermer tant qu’on n’est pas arrivé au bout du suspense.
Le petit truc en plus, qui permet à l’auteur de maintenir de façon naturelle son lecteur en haleine, c’est l’utilisation habile de plusieurs voix narratives et plusieurs points de vue. C’est par la voix de Sandra elle-même que l’on apprend les turpitudes de ses parents, que l’on s’immisce dans son mariage, qui n’est parfait qu’en apparence, et que l’on découvre au bout du compte le secret si bien gardé de son époux. Mais les passages racontés du point de vue d’Aidan Brewster, l’ex-délinquant dont les erreurs du passé ont ruiné la vie, permettent une incursion saisissante dans un esprit pour le moins perturbé.
Quant à Jason, on oscille entre la certitude de son innocence et le malaise que son attitude et son renfermement provoquent.
Contrairement aux enquêtes des polars habituels, menées de main de maître par un policier aguerri ou un détective averti, ce ne sont pas DD Warren et son équipier — qui restent étonnamment aveugles et perplexes jusqu’au dernier retournement de situation — qui font avancer la narration, mais les révélations des histoires de chacun des protagonistes, judicieusement et parcimonieusement saupoudrées par l’auteur tout au long d’un roman réellement prenant.
agathe de lastyns
Lisa Gardner, La Maison d’à côté, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Cécile Deniard, coll. “Spécial Suspense”, Albin Michel, septembre 2010, 419p. — 20,90 €