Voici l’Afrique dont Emmanuel Jourdes dessine enfin le “vrai” lieu. Voici le rêve d’une Afrique “noire” qui jusque là dit son essence sur un ton fataliste ou un éclat de rire. Mais l’auteur différencie le travail de la mélancolie de celui du désir. Néanmoins, les deux permettent de reconnaître l’endroit où la vie tourne dans une enceinte plaquée sur du vivant sous couvert d’offrir la civilisation et le “bien”.
Dès lors, ce préambule sonne comme une fin dans le corps d’un monde dont l’auteur rameute la force sensuelle et l’emprise pour qui ose vraiment s’y plonger. Et ce, jusque sans son art. Par son aspect tellurique comme dans la fragilité de ses matières peu “nobles”, celui-ci dit ce que les discours cachent. Que ce soit ceux d’airain du colonisateur, ou ceux maladroits de qui est obligé de parler dans la langue de l’occupant.
Pour ce dernier, la mauvaise conscience est vite effacée. Mais l’auteur ramène à ce qu’il a vu et vécu sans fard, avec persévérance et obstination. La vision est profonde, volontairement première, dense et dionysiaque là où pourtant les femmes concentrent l’essentiel. Vierges ou prostituées, elles rappellent que l’Afrique est une mère spoliée et dépouillée. Elles deviennent les choryphées et le choeur d’un monde trop longtemps écrasé, inconnu car ignoré.
Ce voyage à rebours est une vaste avancée philosophique et poétique par fragments de ce qui est souvent présenté comme ruines à travers divers types de myopies ou d’indifférences voire de mépris.
Il existe là une méthode et une éthique propres à réinventer une liberté jusque dans les oppressions d’indépendances qui n’en possèdent que le nom. Emmanuel Jourdes renverse et transforme les dialectiques maîtres et serviteurs, blancs et noirs au sein de ce qu’il pousse bien au-delà d’une simple critique logomachique par un dépassement poétique.
jean-paul gavard-perret
Emmanuel Jourdes, Préambule à un voyage, Editions des Vanneaux, Bordeaux, 2019, 102 p. — 17,00 €.