Charles Berberian & Fred Beltran, Nathanaëlle

Une fresque de Science-fiction 

Dans un loin­tain futur, les réin­car­na­tions sont pos­sibles. Si les plus riches peuvent inté­grer des corps humains, les moins for­tu­nés se contentent de machines. De plus, cette société est basée sur un men­songe mons­trueux, à savoir l’invention d’une catas­trophe qui amène une par­tie de l’humanité à se confi­ner sous terre, dans des cais­sons de survie.

Un robot, façon années 1950, tient dans ses bras une femme ago­ni­sante, son épouse. Une jeune femme noire tire, au fusil mitrailleur, sur des forces de l’ordre robo­ti­sées, regret­tant sa situa­tion d’avant : “Putain ! J’étais bien tran­quille dans mon trou !
Une semaine plus tôt, Vivier, un jeune homme, aborde un robot dis­tri­bu­teur de café en l’appelant Papa. C’est Mel­ville. Il a béné­fi­cié, à son décès, d’une réin­car­na­tion. Mais son épouse n’en peut plus de vivre ainsi. Elle demande à son fils de convaincre son père d’arrêter les réini­tia­li­sa­tions.
Dans un cais­son Natha­naëlle par­tage son espace avec Jiro, un colo­ca­taire, qui vou­drait bien bai­ser avec elle, ce qu’elle refuse parce qu’il ne lui fait pas envie. C’est après avoir fait une récla­ma­tion contre la qua­lité du repas qu’ils prennent connais­sance de l’information qui cir­cule sur les réseaux. L’apocalypse, qui a fait des mil­liards de morts, n’a jamais eu lieu. Ils peuvent sor­tir au grand jour.
Ce que Natha­naëlle s’empresse de faire. Lorsqu’elle est prise d’un malaise dans la gare cen­trale, c’est Mel­ville qui la secoure et qui l’emmène chez lui, pro­vo­quant la colère de son épouse.
Tabor se pré­sente devant le conseil de sur­veillance car il sol­li­cite un sep­tième man­dat. Il a une fille… Nathanaëlle !

Une société à deux vitesses, avec un peuple enfermé dans des cais­sons sous terre et une cer­taine caté­go­rie de nan­tis qui vit à l’air libre sert de point de départ à l’intrigue. Ce der­nier offre aux auteurs des res­sources scé­na­ris­tiques et évé­ne­men­tielles consé­quentes. Et ils ne s’en privent pas, mul­ti­pliant les rebon­dis­se­ments dans un futur aux allures de steam­punk, avec des rap­pels du XIXe siècle. Une jeune femme va bous­cu­ler cet ordre éta­bli et pro­vo­quer des désor­ga­ni­sa­tions en chaîne jusqu’à…
Mais, est-elle aussi libre qu’elle en a l’air ?

Avec une suc­ces­sion de retours en arrière, sur une courte période, Charles Ber­be­rian ne va pas cher­cher les racines de son récit dans un passé loin­tain, il donne une intrigue sophis­ti­quée, futée et d’une belle puis­sance. Il insère dans son his­toire nombre de remarques en lien avec notre civi­li­sa­tion, avec les pré­oc­cu­pa­tions de notre époque et offre ainsi plu­sieurs niveaux de lec­ture. Il en est ainsi, par exemple, avec les dif­fé­rentes réac­tions face à la révé­la­tion de la trom­pe­rie. Il y a ceux qui ne veulent rien chan­ger, ceux qui craignent un com­plot pour les éli­mi­ner et ceux qui ne voient rien, murés dans leur uni­vers. C’est l’image face aux muta­tions qu’il faut accep­ter pour aller vers un futur moins sombre, plus éga­li­taire, avec moins de pri­vi­lèges.
L’institution d’une com­mis­sion, pour vali­der l’intérêt d’un nou­veau man­dat d’un diri­geant, est une belle trou­vaille. Il faut pour qu’il soit recon­duit prou­ver sa pro­duc­ti­vité et évi­ter, ainsi, la répé­ti­tion de man­dats sté­riles. Quelle belle ini­tia­tive à appli­quer aux Poli­tiques de tous poils ! Par contre, l’image de la police en prend un coup avec ces couples d’agents qui exercent un racket de bas niveau.

Le gra­phisme est l’œuvre de Fred Bel­tran qui revient à des tech­niques d’illustration plus clas­siques, n’utilisant les moyens infor­ma­tiques qu’à la marge. Et c’est payant car il réa­lise des planches d’une beauté sai­sis­sante tant pour la repré­sen­ta­tion des pro­ta­go­nistes que pour la pro­duc­tion des décors. Il ne bride pas son ima­gi­na­tion pour extra­po­ler un futur dif­fi­cile à per­ce­voir de toute manière. Le tra­vail sur la mise en pages, sur la mise en scène est remar­quable. Il soigne les détails et, lorsqu’il place son point de vue dans les endroits les plus res­treints des décors, il res­ti­tue, sans la trans­for­mer, la place de chaque élément.

Un cahier gra­phique de 24 pages donne une vue pas­sion­nante sur les tra­vaux pré­pa­ra­toires. Un bel album d’une force nar­ra­tive sai­sis­sante et d’un gra­phisme brillant.

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serge per­raud

Charles Ber­be­rian (scé­na­rio) & Fred Bel­tran (des­sin et cou­leurs), Natha­naëlle, Glé­nat, coll. “24x32”, sep­tembre 2019, 110 p. – 18, 00 €.

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