Entre culpabilité et innocence
Depuis son “Rêve de ne pas parler”, Jacques Sojcher revient à la blessure initiale et les trains de la mort qui emportèrent une partie des siens. L’auteur tente de rédimer l’horreur insupportable. Il réaffirme une fois de plus ici l’essentiel : “Tu as perdu l’ours à roulette /Tu as perdu ton cahier d’écolier / Tu as perdu des lettres d’amour” mais ajoute-t-il “non la joie sans raison”.
A défaut de cette dernière, celle-là possède néanmoins une cause. Le poète en n’est pas forcément très fier puisque cette joie est causée non par “la” mais les femmes en ce “point d’amour” dont parle Beckett et qui s’ouvre à un double proposition de lecture : le “point” est autant de fixation que d’un vide.
Car, depuis toujours, Sojcher — eu égard à l’origine et le sans nom — est un séducteur primesautier et volage. Et de s’avouer à lui-même : “Les femmes t’ont distrait de la littérature”. Mais néanmoins elles nourrissent tous ses livres de poésie jusqu’à le transformer en l’homme “irréel” qu’il est devenu. Mais homme tout de même.
Il trouve à travers elles (et ici la provisoire ?) dernière le sentiment de vivre face au dur désir d’exister. Le tout entre culpabilité et innocence.
Mais l’auteur ne triche pas. Il avance au milieu de ses conquêtes : “Sans femmes tu n’es pas homme”. Elles se succèdent, non sans amour, mais comme une succession de feux follets dont les dessins d’Arié Mandelbaum soulignent la frénésie. La dernière est toujours la première : “Elle devient réelle / Et sa place est dans le livre”.
Bref, elles se succèdent. Et le temps ne fait rien à l’affaire.
jean-paul gavard-perret
Jacques Sojcher, Joie sans raison, illustrations d d’Arié Mandelbaum, Fata Morgana, Fontfroide le Haut, 2019, 54 p.