A l’idée proustienne que « la réalité ne se forme que dans la mémoire », Valérie Horwitz offre un prolongement. La photographe, par ses mises en scènes simples, engage une relecture d’histoires complexes sous leur simplicité. Les vies prennent un caractère non anecdotique mais métaphorique, à la fois drôle parfois et selon une osmose particulière entre divers mondes. Elle invente ce dont Barthes rêvait pour la photographie érotique. Selon lui, le désir a nécessairement un objet mais il convient à un artiste de ne pas en faire un objet.
Dans une telle oeuvre surgit le dur désir d’être même lorsque les êtres sont considérés comme de drôles d’oiseaux sans plumes. Et plutôt que de rester inféodée à des écoles de pensée, la créatrice arpente la pratique de la photographie en parfaite liberté même dans les lieux de détention. Elle tente de ne rien laisser dans l’ombre mais tout dans l’ambiguïté en accordant dans la photographie une place « différante » (pour parler comme Derrida).
L’objectif est de se dégager des croyances et des illusions idéologiques, de tarauder « la part maudite » et obscure que “ça” cache.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’envie de continuer ce qui a été commencé. Les rencontres à venir.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Ils accompagnent mon chemin de vie ; je rêvais d’être artiste.
A quoi avez-vous renoncé ?
À convaincre l’Autre que j’ai raison (de toute façon, je n’ai pas raison!)
D’où venez-vous ?
Je suis née à Marseille, j’y habite depuis 20 ans et j’ai eu plusieurs vies professionnelles avant de devenir artiste
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Je n’ai jamais aimé l’idée du mariage … donc je vais parler de mon héritage familial. Il s’agit donc d’un double héritage culturel : napolitain et judéo-chrétien d’un côté, austro-hongrois de l’autre. De migrations dues à des questions de survie économique ou d’appartenance. J’ai hérité de ce que chaque culture et immigration a nécessité de choix d’adaptation ou de revendications.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Plusieurs plaisirs par jour et ils ne sont pas petits ! Plaisirs tout court : un café, une clope, un article, un moment de contemplation et a minima un échange avec un-e ami-e.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres photographes ?
Être moi. La photographie n’est qu’une suite d’auto-portraits et de prétextes à la rencontre.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
La toute première était un poster du clown triste de Buffet accroché dans le salon de mes grands-parents. J’étais à la fois fascinée et effrayée par ce personnage.
Le premier choc des images d’actualités a été la chute du mur de Berlin ; je me souviens de la puissance de la joie et de liberté qui se dégageaient des visages pendant ces retransmissions télévisuelles.
Enfin, au niveau photographique, un autoportrait de Nan Goldin où elle a un œil au beurre noir. À l ‘époque, je ne savais pas qu’on pouvait dire autant de choses avec la photographie.
Et votre première lecture ?
À 16 ans j’ai découvert deux livres, deux auteurs, deux chocs ; “Junkie” de William S. Burroughs (j’étais fascinée par son protocole d’écriture et les sensations que ça provoquait en moi), et “Les poèmes” de William Blake qui m’ont interpellée sur sa posture quant aux questions de croyance et de religion.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Pop musique – électro – rock indé — new wave — jazz – et de la musique classique : j’ai été bercée par cette musique dans le ventre de ma mère et j’ai fait 15 ans de piano…
Quel est le livre que vous aimez relire ?
C’est une histoire de moments ; quelques uns de mes livres de chevet : “Femmes qui courent avec les loups”, “Les villes invisibles”, “Le livre de l’intranquillité”.
Quel film vous fait pleurer ?
Celui qui révèle un endroit de ma vulnérabilité … hors contexte, je suis incapable d’en citer un.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une femme aux héritages culturels et familiaux forts, qui s’émancipe de toute autorité et devient responsable, de la sphère intime et jusqu’au politique.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Au ministre de la Justice mais votre question va sans doute être un moteur.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
L’île de Procida. C’est le lieu dont est originaire la famille de ma mère. J’ai découvert un lieu qui réunissait tout ce que j’affectionne. Que ce soit environnemental, (naturel) ou culturel.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Le plus proche de ma démarche : en film documentaire : Christophe Bisson – pour les sujets qu’il choisit, la façon dont il filme ses personnages et son travail de montage. Je viens de découvrir l’oeuvre de Jhafis Quintero dans l’exposition « Libres » à laquelle je participe au Centre d’Art Contemporain d’Yverdon-les-Bains. Je retrouve dans sa création le moteur et la thématique qui animent notre création à tous les deux, même si nos histoires et nos processus de travail sont différents. Enfin, et pour finir avec l’écriture, je me suis totalement retrouvée, reconnue dans le livre Femmes hors normes de Barbara Polla. Et “De la maladie” de Susan Sontag.
Les plus proches de ma sensibilité (et de mon cœur donc) en vrac : Nan Goldin, Antoine d’Agata, Stéphane Lavoué, Francis Bacon, Gerhard Richter, Marina Abramovic, Beckett, Arthaud, Sarah Kane, Perec, Alain Cavalier, Caravage, Rembrandt et mille autres.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
La présence et les gestes tendres de toutes celles et ceux qui sont importants pour moi
Que défendez-vous ?
La singularité et l’humanisme.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Autant faire quelque chose pour soi !
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?
Elle induit une ouverture et évoque tous les possibles à venir. Je trouve très beau son côté inconditionnel.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Aucune idée. Quelle question avez vous oubliée ?
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 26 novembre 2019.