Michel Canesi & Jamil Rahmani, La Douleur du fantôme

Une réus­site

Quelle rela­tion peut-il bien exis­ter entre une jeune étu­diante en méde­cine, Char­lotte de Mont­brun, férue de nou­velles tech­no­lo­gies, un cer­tain Roland, qui mène une exis­tence vir­tuelle fort intri­gante, un avo­cat octo­gé­naire spé­cia­liste de la spo­lia­tion des biens juifs durant la seconde guerre mon­diale, un jeune apprenti magi­cien obsédé par la mort, une dan­seuse pro­mise au rang d’étoile et une bos­sue orga­niste à Notre-Dame de Paris ? À priori aucun. Et pour­tant ! Au fil des pages, un lien ter­rible semble unir ces per­son­nages à tra­vers un secret qui tient le lec­teur en sus­pens jusqu’à la der­nière ligne. Sur­tout lorsque cer­tains per­son­nages sont mys­té­rieu­se­ment — et très poé­ti­que­ment — tués les uns après les autres.

Si tout com­mence à Biar­ritz, un soir où Char­lotte dîne avec son père, un archi­tecte autant ama­teur d’art et d’histoire qu’inculte en web know­ledge, le roman nous fait voya­ger ensuite à tra­vers les rues et les monu­ments célèbres de Paris, avant de nous trans­por­ter “au fil de l’eau” sur les rives médi­ter­ra­néennes nous menant ainsi jusqu’au cœur de la secrète Égypte. Un long voyage qui aura pour terme une révé­la­tion des plus impro­bables et éton­nantes, et Inter­net pour seule liai­son avec le monde exté­rieur.
Et inva­ria­ble­ment le lec­teur suit pas à pas les traces de Char­lotte tout au long de son périple, à la fois tou­ris­tique mais plus encore “poli­cier”, à la pour­suite d’un tueur “baroque” qui prend plai­sir à assas­si­ner ses vic­times sous les sym­boles des quatre élé­ments : l’eau, l’air, la terre et le feu. Et si un cin­quième élé­ment consti­tuait la clé de tous ces crimes dont Char­lotte a été témoin ?
D’autant qu’elle semble le seul point com­mun entre toutes ces morts… ainsi qu’un étrange tatouage tri­an­gu­laire sur leur bras. Serait-elle mal­gré elle au cœur d’une conspi­ra­tion, d’une étoile à cinq branches dont elle serait le centre ou pri­son­nière d’une véri­table Toile d’araignée ?

Accom­pa­gnée de son père, dont le car­té­sia­nisme pro­fond tend à consi­dé­rer les élu­cu­bra­tions de sa fille comme futiles, d’Hélène Wein­stein, dan­seuse de l’opéra de Paris et nièce de l’avocat Pierre Mande, pre­mier défunt de l’histoire, et de Roland, per­son­nage énig­ma­tique, génie de l’informatique, qui der­rière son cla­vier lui apporte son aide sous forme de mes­sages “cryp­tés” et ô com­bien trou­blants. Il serait certes ten­tant d’oser une com­pa­rai­son avec le Da Vinci Code, mais ce serait bien trop facile et erroné, tant le roman témoigne d’une éru­di­tion, artis­tique et his­to­rique, bien plus pous­sée que l’œuvre de Dan Brown.
Et en cela, nous retrou­vons bien la patte des deux auteurs, Michel Canesi et Jamil Rah­mani, doc­teurs en méde­cine de leur état mais grands connais­seurs et ama­teurs d’art, qui avait déjà été mise en avant dans leur pre­mier roman, Le syn­drome de Lazare, paru en 2006.

Le lec­teur découvre ainsi au détour de chaque page, Paris dans toutes ses splen­deurs, “la ville des Lumières” par excel­lence, et dans ses moindres détails. Ainsi, l’opéra Gar­nier, ses ruches et sa fameuse Giselle, ou le grand orgue de Notre-Dame n’auront plus de secret pour vous, de même que les tré­sors cachés de Mes­sine ou de Naples, appor­tant au récit une touche “baroque” qui confère ainsi une atmo­sphère toute par­ti­cu­lière plon­geant lit­té­ra­le­ment le lec­teur au cœur de l’action et le trans­por­tant à l’intérieur même des per­son­nages.
Le tout avec une cer­taine touche d’humour, très réus­sie, à l’image des chats pré­nom­més Gras­set et Gal­li­mard par la “bos­sue” de Notre-Dame, der­nière vic­time sup­po­sée de l’assassin, ou le père “tra­vesti” d’une amie de l’héroïne.
D’emblée, on se pro­jette avec Char­lotte dans les rues de Paris ou sur la berge de Biar­ritz fouet­tée par l’océan déchaîné et on pénètre dans l’univers vir­tuel de cette jeune appren­tie détec­tive, qui n’a pas froid aux yeux. Et tel est un des inté­rêts majeurs de La dou­leur du fan­tôme, outre celui de lier détails médi­caux et artis­tiques au sein de la nar­ra­tion : celui de mêler habi­le­ment les nou­velles tech­no­lo­gies de com­mu­ni­ca­tion dont est adepte la jeune géné­ra­tion et IIe Empire, méta­phore du fossé géné­ra­tion­nel qui sépare Char­lotte de son père et existe bel et bien dans notre société actuelle.

On peut tou­te­fois regret­ter que cer­tains points n’aient pas été davan­tage expli­qués ou exploi­tés, comme la sub­tile allu­sion aux quatre élé­ments, ce qui peut don­ner une légère impres­sion d’inabouti, de manque, à l’image de celle du membre coupé, “fan­tôme”, qui néan­moins conti­nue de faire souf­frir ceux qui en ont été ampu­tés.
De plus, l’histoire avait-elle véri­ta­ble­ment à gagner en s’expatriant de l’autre côté de la Médi­ter­ra­née, ne serait-ce que pour quelques pages ? Le voyage s’achève, certes sur un véri­table choc, mais l’on aurait sûre­ment aimé conti­nuer à se bala­der dans Paris tel un tou­riste étran­ger qui la visite pour la pre­mière fois et découvre émer­veillé à chaque coin de rue un monu­ment, un quar­tier, une his­toire tota­le­ment qui lui sont incon­nus.
Enfin, l’implication ou le sort de cer­tains per­son­nages, au fil des pages, finit par ne plus faire de doute… mais heu­reu­se­ment la révé­la­tion finale, quant à elle vrai­ment impré­vi­sible, et l’élan dans lequel le lec­teur est trans­porté de la pre­mière à la der­nière ligne font de ce deuxième roman, une réus­site, dans un genre com­plè­te­ment dif­fé­rent du pre­mier opus — exer­cice ô com­bien dif­fi­cile pourtant -.

Mais à la fin, on n’a alors qu’une envie : féli­ci­ter Char­lotte d’avoir obtenu sa pre­mière année de méde­cine mal­gré tout le temps passé à jouer à Miss Marple !

vio­laine cherrier

Michel Canesi & Jamil Rah­mani, La Dou­leur du fan­tôme, Édi­tions Phé­bus, mars 2010, 320 p.- 22,00

 

     
 

 

 

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