Une réussite
Quelle relation peut-il bien exister entre une jeune étudiante en médecine, Charlotte de Montbrun, férue de nouvelles technologies, un certain Roland, qui mène une existence virtuelle fort intrigante, un avocat octogénaire spécialiste de la spoliation des biens juifs durant la seconde guerre mondiale, un jeune apprenti magicien obsédé par la mort, une danseuse promise au rang d’étoile et une bossue organiste à Notre-Dame de Paris ? À priori aucun. Et pourtant ! Au fil des pages, un lien terrible semble unir ces personnages à travers un secret qui tient le lecteur en suspens jusqu’à la dernière ligne. Surtout lorsque certains personnages sont mystérieusement — et très poétiquement — tués les uns après les autres.
Si tout commence à Biarritz, un soir où Charlotte dîne avec son père, un architecte autant amateur d’art et d’histoire qu’inculte en web knowledge, le roman nous fait voyager ensuite à travers les rues et les monuments célèbres de Paris, avant de nous transporter “au fil de l’eau” sur les rives méditerranéennes nous menant ainsi jusqu’au cœur de la secrète Égypte. Un long voyage qui aura pour terme une révélation des plus improbables et étonnantes, et Internet pour seule liaison avec le monde extérieur.
Et invariablement le lecteur suit pas à pas les traces de Charlotte tout au long de son périple, à la fois touristique mais plus encore “policier”, à la poursuite d’un tueur “baroque” qui prend plaisir à assassiner ses victimes sous les symboles des quatre éléments : l’eau, l’air, la terre et le feu. Et si un cinquième élément constituait la clé de tous ces crimes dont Charlotte a été témoin ?
D’autant qu’elle semble le seul point commun entre toutes ces morts… ainsi qu’un étrange tatouage triangulaire sur leur bras. Serait-elle malgré elle au cœur d’une conspiration, d’une étoile à cinq branches dont elle serait le centre ou prisonnière d’une véritable Toile d’araignée ?
Accompagnée de son père, dont le cartésianisme profond tend à considérer les élucubrations de sa fille comme futiles, d’Hélène Weinstein, danseuse de l’opéra de Paris et nièce de l’avocat Pierre Mande, premier défunt de l’histoire, et de Roland, personnage énigmatique, génie de l’informatique, qui derrière son clavier lui apporte son aide sous forme de messages “cryptés” et ô combien troublants. Il serait certes tentant d’oser une comparaison avec le Da Vinci Code, mais ce serait bien trop facile et erroné, tant le roman témoigne d’une érudition, artistique et historique, bien plus poussée que l’œuvre de Dan Brown.
Et en cela, nous retrouvons bien la patte des deux auteurs, Michel Canesi et Jamil Rahmani, docteurs en médecine de leur état mais grands connaisseurs et amateurs d’art, qui avait déjà été mise en avant dans leur premier roman, Le syndrome de Lazare, paru en 2006.
Le lecteur découvre ainsi au détour de chaque page, Paris dans toutes ses splendeurs, “la ville des Lumières” par excellence, et dans ses moindres détails. Ainsi, l’opéra Garnier, ses ruches et sa fameuse Giselle, ou le grand orgue de Notre-Dame n’auront plus de secret pour vous, de même que les trésors cachés de Messine ou de Naples, apportant au récit une touche “baroque” qui confère ainsi une atmosphère toute particulière plongeant littéralement le lecteur au cœur de l’action et le transportant à l’intérieur même des personnages.
Le tout avec une certaine touche d’humour, très réussie, à l’image des chats prénommés Grasset et Gallimard par la “bossue” de Notre-Dame, dernière victime supposée de l’assassin, ou le père “travesti” d’une amie de l’héroïne.
D’emblée, on se projette avec Charlotte dans les rues de Paris ou sur la berge de Biarritz fouettée par l’océan déchaîné et on pénètre dans l’univers virtuel de cette jeune apprentie détective, qui n’a pas froid aux yeux. Et tel est un des intérêts majeurs de La douleur du fantôme, outre celui de lier détails médicaux et artistiques au sein de la narration : celui de mêler habilement les nouvelles technologies de communication dont est adepte la jeune génération et IIe Empire, métaphore du fossé générationnel qui sépare Charlotte de son père et existe bel et bien dans notre société actuelle.
On peut toutefois regretter que certains points n’aient pas été davantage expliqués ou exploités, comme la subtile allusion aux quatre éléments, ce qui peut donner une légère impression d’inabouti, de manque, à l’image de celle du membre coupé, “fantôme”, qui néanmoins continue de faire souffrir ceux qui en ont été amputés.
De plus, l’histoire avait-elle véritablement à gagner en s’expatriant de l’autre côté de la Méditerranée, ne serait-ce que pour quelques pages ? Le voyage s’achève, certes sur un véritable choc, mais l’on aurait sûrement aimé continuer à se balader dans Paris tel un touriste étranger qui la visite pour la première fois et découvre émerveillé à chaque coin de rue un monument, un quartier, une histoire totalement qui lui sont inconnus.
Enfin, l’implication ou le sort de certains personnages, au fil des pages, finit par ne plus faire de doute… mais heureusement la révélation finale, quant à elle vraiment imprévisible, et l’élan dans lequel le lecteur est transporté de la première à la dernière ligne font de ce deuxième roman, une réussite, dans un genre complètement différent du premier opus — exercice ô combien difficile pourtant -.
Mais à la fin, on n’a alors qu’une envie : féliciter Charlotte d’avoir obtenu sa première année de médecine malgré tout le temps passé à jouer à Miss Marple !
violaine cherrier
Michel Canesi & Jamil Rahmani, La Douleur du fantôme, Éditions Phébus, mars 2010, 320 p.- 22,00 €
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