Odd Arne Westad, Histoire mondiale de la Guerre froide, 1890–1991

La guerre froide et mondiale

La mode est au glo­bal. On en a une preuve sup­plé­men­taire avec l’His­toire mon­diale de la Guerre froide de l’historien nor­vé­gien Odd Arne Wes­tad, pro­fes­seur dans les plus pres­ti­gieuses uni­ver­si­tés anglo-saxonnes. La dimen­sion même de ce conflit néces­site évi­dem­ment une vision géné­rale d’un point de vue géo­gra­phique. Mais il faut aussi rap­pe­ler la dimen­sion « totale » de cette guerre indi­recte.
Totale dans le sens qu’aucun aspect de la vie sociale, poli­tique, artis­tique, cultu­relle, éco­no­mique et bien sûr mili­taire ne lui échappa. Ce que montre cette impres­sion­nante somme.

Car disons-le d’emblée, le livre consti­tue une mine inépui­sable d’informations. Rien ne semble échap­per à l’auteur tant sa maî­trise de l’historiographie et des évé­ne­ments semblent solide. Europe, Amé­rique latine, Moyen Orient, Asie : tout est passé au crible de ses ana­lyses pré­cises et de ses juge­ments acé­rés. Des cha­pitres nova­teurs et péné­trants sont consa­crés au Tiers-Monde que Odd Arne Wes­tad connaît bien, et dont il rééva­lue le rôle dans l’histoire de la Guerre froide.
Selon lui, en effet, loin de se limi­ter à un théâtre d’affrontement, ce « troi­sième monde » a eu une influence déter­mi­nante sur le cours des évé­ne­ments, en par­ti­cu­lier  à la fin des années 1970, dans la fin de la poli­tique de détente.

Sur le fond, on retien­dra quelques points majeurs. Sur la date de début de la Guerre froide, Odd Arne Wes­tad se veut ori­gi­nal et la place en 1890, au moment de la crise éco­no­mique qui radi­ca­lise les cou­rants socia­listes, déter­mi­nés désor­mais à ren­ver­ser le capi­ta­lisme. Pro­po­si­tion ori­gi­nale mais qui ne convainc pas tota­le­ment. Car le conflit Est-Ouest est d’abord celui entre deux Etats. Tant que les bol­che­viques ne règnent pas à Mos­cou, on ne peut par­ler de conflit en bonne et due forme.
Ensuite, la volonté de l’historien est de main­te­nir la balance égale entre les Amé­ri­cains et les Sovié­tiques au sujet de la res­pon­sa­bi­lité de l’éclatement de la com­pé­ti­tion en 1945–48. On ne peut que le suivre dans son ana­lyse des deux pro­jets idéo­lo­giques et impé­ria­listes à l’œuvre à Mos­cou et à Washing­ton et qui ne pou­vaient qu’entrer en col­li­sion. Cela dit, cette prise de dis­tance à l’égard de l’école révi­sion­niste entraîne fata­le­ment une sous-estimation de la bru­ta­lité de la poli­tique de com­mu­ni­sa­tion que Sta­line opère en Europe orien­tale, et qu’il aurait sans nul doute por­tée plus loin à l’ouest sans la pré­sence des Américains.

On ne sui­vra pas non plus Odd Arne Wes­tad dans sa convic­tion maintes fois répé­tée du fas­cisme du régime de Franco en Espagne, ni dans sa ten­dance à voir du racisme un peu par­tout dans la poli­tique occi­den­tale. Et on ne peut que regret­ter que Ronald Rea­gan n’ait pas eu droit à un por­tait aussi pré­cis que ceux de ses pré­dé­ces­seurs, voire un cha­pitre à son nom comme c’est le cas pour Gor­bat­chev. Car le vrai vain­queur de la Guerre froide, c’est bien Rea­gan, ce qu’admet pour­tant en fili­grane l’auteur.
Car c’est la poli­tique offen­sive de Rea­gan qui a poussé le diri­geant sovié­tique dans sa poli­tique de détente, afin de sau­ver l’URSS, peut-être en la démo­cra­ti­sant mais sans doute beau­coup moins que ne le pense Odd Arne Wes­tad. Même si avec rai­son il affirme que les racines de la fin du conflit plongent en pro­fon­deur dans les années précédentes.

La conclu­sion s’avère par­ti­cu­liè­re­ment sti­mu­lante car elle ouvre de riches pers­pec­tives de réflexion sur la vic­toire des Etats-Unis en 1991, la période de l’unipolarité et le conflit en ges­ta­tion avec la Chine. Odd Arne Wes­tad prend une nou­velle fois le contre-pied des visions actuelles : il voit dans « la dérive amé­ri­caine de l’après-guerre froide […] la consé­quence d’un manque d’imagination des diri­geants et non […] un phé­no­mène lié à l’essence même de l’Amérique ou à une forme de pré­dé­ter­mi­na­tion. »
Une absence de réflexion sur la manière dont ils ont géré et gagné la Guerre froide en somme. Le débat est ouvert.

fre­de­ric le moal

Odd Arne Wes­tad, His­toire mon­diale de la Guerre froide, 1890–1991, Per­rin, sep­tembre 2019, 771 p. — 28,00 €.

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