Qu’est-ce qu’un blog, aujourd’hui, sinon une latitude qui s’étend à sa guise, du journal intime en ligne au quasi-journalisme, en passant par toutes les possibilités d’expression des passions les plus diverses ? Et si, au lieu d’exhiber les facettes du moi, les blogs inventaient une nouvelle manière de faire peuple ?
L’essai très documenté de Mounir Bensallah nous renseigne sur l’expérience récente des communautés virtuelles (blogs, Facebook, Twitter) dans l’ensemble des pays arabes, en ce moment charnière où la plupart de ces sociétés connaissent un printemps démocratique, aussi contrasté que fascinant. L’auteur ne cache pas sa sympathie pour ce printemps, auquel il a participé, comme la plupart des acteurs dont il retrace le parcours, dont il publie les entretiens en annexe.
Il sait nous décrire la complexité des relations entre cette puissance émergente des communautés virtuelles et les pouvoirs en place. Car les autorités, après avoir longtemps négligé cette puissance montante, ne peuvent pas plus interdire qu’autoriser pleinement. Les blogs leur rapportent des renseignements dont elles ne sauraient plus désormais se passer pour surveiller les populations. L’arme suprême d’une coupure du téléphone ne peut plus guère être employée si les opposants se donnent d’avance rendez-vous pour manifester sur la place principale une demi-heure après la coupure. C’est alors le pouvoir en vigueur qui donne lui-même le signal de la manifestation.
A l’heure ou les messageries limitent le nombre de destinataires pour un même mail, les abonnés d’un blog, les amis Facebook, les listes Twitter fournissent l’instrument d’une diffusion d’autant plus large qu’elle est multipliée par les possibilités de reblog. Immense caisse de résonnance, où mille et un fils se tissent de ce que l’on sent bien en chantier : une nouvelle manière de faire peuple, avec de nouveaux modes de citoyenneté, de nouveaux modes de militantisme et de relai d’opinion. La simple photographie du passant, avec son téléphone portable, peut ainsi voguer de blog en blog, essaimer au point d’être reprise sur des médias internationaux. Bien des filtres, des contrôles et des blocages demeurent, bien sûr, mais on sent des libertés nouvelles en train de se faufiler, qui rendent de plus en plus difficiles les abus les plus criants.
L’auteur nous indique la richesse des débats en cours parmi ces communautés : faut-il écrire en arabe ou en français ? Faut-il faire une place au commerce, ou privilégier la réflexion et l’action politique ? Quelle place accorder à l’islam, et quel sens donner à cette référence ? Quelle place accorder à la question féminine ?
Comme Machiavel dans Le Prince, Bensallah est toujours très concret. Il se garde d’expliciter et de théoriser la leçon qu’il nous donne. Mais c’est, comme Machiavel, une belle leçon de liberté.
jean-paul galibert
Mounir Bensallah, Réseaux sociaux et révolutions arabes, Michalon, octobre 2012, 288 p. - 18,00 €.