James Lee Burke, La descente de Pégase

Quin­zième rendez-vous avec Dave Robi­cheaux, réussi.

Les admi­ra­teurs de James Lee Burke ont depuis long­temps épuisé leurs super­la­tifs dans l’éloge de l’auteur loui­sia­nais. Eton­nam­ment constant dans ses choix et la qua­lité de son écri­ture, ce maître reconnu de la lit­té­ra­ture poli­cière amé­ri­caine conti­nue imper­tur­ba­ble­ment à démon­trer que l’on peut faire de bons romans sans pour autant chan­ger de voie, contrai­re­ment à cer­tains de ses pres­ti­gieux col­lègues, comme James Ell­roy — qui le dépasse de façon assez injuste en chiffre de ventes et en noto­riété, mais qui a récem­ment perdu nombre de ses lec­teurs dans l’exploration plus ou moins réus­sie de ter­ri­toires étranges et nouveaux.

Dans La des­cente de Pégase, nous retrou­vons pour la quin­zième fois l’inspecteur Dave Robi­cheaux. Alcoo­lique repenti, il s’est marié avec une ancienne reli­gieuse, Molly. Ils vivent heu­reux dans le bayou de New Ibe­ria avec leurs ani­maux de com­pa­gnie, un chat et un raton-laveur. Mais le passé conti­nue de han­ter Dave, en par­ti­cu­lier la mort de son ami Dal­las Klein, tué par des mal­frats vingt-cinq ans aupa­ra­vant sous les yeux d’un Robi­cheaux réduit à l’impuissance par l’alcool.
L’apparition de Trish Klein, la fille de Dal­las, fait remon­ter toute l’histoire à la sur­face. La jeune femme écume les casi­nos de la région, où elle écoule des billets de banque mar­qués. Très vite, Dave la soup­çonne de vou­loir ven­ger la mort de son père et de cher­cher à s’en prendre à celui qu’elle tient pour res­pon­sable, l’ancien caïd de la pègre Whi­tey Bruxal. En paral­lèle, Dave enquête sur l’apparent sui­cide d’une étu­diante. Il sent que les deux affaires pour­raient être liées, et s’adjoint l’aide de son vieil ami, l’ancien du Viet­nam, Clete Pur­cel, tou­jours autodestructeur.

Ce sont les per­son­nages et l’atmosphère qui font les romans de James Lee Burke. Dans ces domaines, il n’a pas son pareil pour esquis­ser des tableaux remar­qua­ble­ment vivants et justes des dérives du monde moderne. Dans l’inquiétante moi­teur de sa Loui­siane natale — sa famille y vit depuis 1856 -, James Lee Burke dresse le por­trait de ceux qui contri­buent à son iden­tité, sou­vent aux dépens de cette terre belle mais abî­mée : les dea­lers, les mafieux, les véreux. L’histoire de cet état, qui bat des records d’illettrisme et de cor­rup­tion, sans par­ler de la pol­lu­tion, s’est écrite sur le dos des pauvres gens.
Dans ce roman, Burke montre un monde scindé en deux, où le racisme aux relents de guerre de Séces­sion fait loi, où les dif­fé­rentes com­mu­nau­tés ne se côtoient pas, ne se connaissent qu’à tra­vers les cli­chés et les pré­ju­gés qu’on leur a incul­qués et qui ont la vie dure. L’auteur déplore le déla­bre­ment de la Loui­siane, pour­tant encore magni­fique par endroits, rava­gée par les exploi­tants de com­pa­gnies pétro­lières, et où la cri­mi­na­lité explose, comme par­tout où règne la misère.

Dans la bouche de Dave Robi­cheaux, devenu au fil des années une sorte d’alter ego de l’écrivain, et dans ses des­crip­tions émou­vantes, sans com­plai­sance mais d’où sourd une colère qui n’a d’égal que son amour pour le bayou, Burke laisse écla­ter son res­sen­ti­ment. Un constat sombre, désa­busé : “Car les putes aujourd’hui ne sont plus que le devant de la vitrine. Le véri­table enjeu, c’est la drogue. Les filles font le trot­toir pour en obte­nir, les types comme Monarch la vendent, les flics touchent des pots de vin au pas­sage, les macs l’utilisent pour gar­der le contrôle, les avo­cats font car­rière en défen­dant ceux qui la four­nissent, les gou­ver­ne­ments financent l’industrie arti­sa­nale cen­sée nous en pro­té­ger.” (p.90)

agathe de lastyns

 

   
 

James Lee Burke, La des­cente de Pégase, tra­duit de l’anglais (Etats-Unis) par Patri­cia Chris­tian, coll. “Thril­ler”, Edi­tions Payot-Rivages, mai 2010, 406p. — 21,50 €

 

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