Un plan diabolique, un engrenage infernal sur fond de paysages bretons.
Ne dites pas à Jean-François Coatmeur qu’il écrit des polars, il déteste ce terme jugé “trop réducteur”. Ce spécialiste du roman à suspense français a été couronné du Grand prix de littérature policière, du prix du Suspense et du Grand prix des écrivains de l’Ouest — sa deuxième marque de fabrique est en effet son amour immodéré de sa Bretagne natale, qu’il chante depuis plusieurs décennies et qui sert de toile de fond à la plupart de ses œuvres.
Une écharde au cœur, son dernier roman, nous promène entre Douarnenez et Pouldavid — où est né l’auteur -, entre Langolen et Kernenez. Le décor est planté : la mer et la plage, la brume et le crachin, les petits villages où tout le monde se connaît, les on-dit, les rumeurs qui circulent et les histoires que l’on enfouit.
Le roman met en contact deux personnages que rien ne destinait à se rencontrer. Gwen a obtenu un non-lieu pour une sombre affaire de pédophilie qui l’avait conduit derrière les barreaux pendant deux ans. Enfin innocenté, sa première décision d’homme libre est de vivre à l’écart pour panser ses plaies : son divorce imminent, sa relation conflictuelle avec un fils adoptif qui l’a accusé à tort, la honte et la douleur de ces deux années d’enfermement et d’humiliations. Il élit domicile à Pouldavid, dans la maison héritée de ses parents. Avec pour seul compagnon son fidèle chien Argo, il n’aspire à rien d’autre qu’une solitude régénératrice.
Mais au milieu de la nuit, il recueille à contre-cœur une jeune femme à demi nue, en état de choc, qui refuse obstinément d’aller voir la police. Mara raconte qu’on a tenté de la noyer alors qu’elle prenait un bain de minuit dans la mer. Peu à peu, elle consent à donner d’autres informations : la présence cette nuit-là de son amant sur la plage, la mystérieuse disparition de ses affaires et de ce dernier quand elle est sortie de l’eau après avoir échappé à l’étreinte de son agresseur, le complot auquel elle a accepté de participer.
Malgré lui, Gwen prend le rôle de l’enquêteur, bientôt en lutte pour la survie contre un adversaire inconnu.
Un plan diabolique, un engrenage infernal, une machination létale, des personnalités fortes et contrastées, tels sont les ingrédients de ce livre, un classique du genre. Coatmeur a raison, cependant. Le classer dans le rayon “polar” serait réducteur. Car l’auteur y ajoute quelques éléments qui lui sont propres et qui lui donnent une saveur particulière.
Ce duo improbable et fragile, qui peu à peu s’apprivoise et bientôt se désire — mais l’auteur ne cède jamais à la facilité de la scène d’amour, tenez-vous le pour dit -, ces parcours de vie évoqués sans être assénés, faits de demi-mensonges et de fausses vérités. Les personnages de Coatmeur ne sont ni blancs ni noirs, ils sont complexes.
Coatmeur est un explorateur de l’âme humaine et il nous livre ici quelques unes de ses réflexions en forme de figures jamais caricaturales : les notables locaux dont on gratte peu à peu le verni, laissant apparaître jalousies et luttes de pouvoir ; le vieil instituteur, figure tutélaire par excellence, et l’ami de la famille qui cache un terrible secret. L’intrigue est bien menée, alternant lenteur et tranquillité du quotidien qui tente de se reconstruire et palpitations du suspense, les sentiments sont difficiles à partager et évoqués par touches subtiles.
Un bon roman que l’on imagine bien adapté au cinéma, comme l’ont déjà été plusieurs œuvres de l’auteur.
agathe de lastyns
Jean-François Coatmeur, Une écharde au cœur, Albin Michel, juin 2010, 292 p. — 19,50 € |