Andrew Pepper, Les derniers jours de Newgate

Nais­sance d’un per­son­nage trou­blant dans ce pre­mier volet en demi-teinte

À l’heure où les thril­lers dégou­linent lit­té­ra­le­ment des étals de nos librai­ries, en ouvrir un de plus semble tenir du maso­chisme, tant il est vrai que la quan­tité ne fait mal­heu­reu­se­ment pas la qua­lité.
Andrew Pep­per pré­sente ici un roman qui, s’il ne mar­quera pas for­cé­ment l’histoire du genre, a le mérite de pro­po­ser un per­son­nage cen­tral qu’il sera dif­fi­cile d’oublier.
1829. Les rues de Londres, laby­rin­thiques et inquié­tantes, les quar­tiers pauvres, cras­seux et misé­reux, sont livrés à la loi du plus fort.

On s’y fait détrous­ser ou égor­ger comme qui rigole. Le passe-temps favori des habi­tants de ces quar­tiers défa­vo­ri­sés ? Les com­bats san­glants d’animaux ou de créa­tures qui n’ont plus grand chose d’humain. Dans cette atmo­sphère glauque, dans ces rues plon­gées dans la pénombre humide du brouillard qui monte de la Tamise, seuls les braves ou les fous osent s’aventurer.
C’est pour­tant le ter­rain de pré­di­lec­tion de Pyke, “bow street run­ner”, une sorte d’ancêtre des poli­ciers modernes (la Police Métro­po­li­taine de Londres n’existe pas encore), mi-flic mi-voyou, qui y mène ses enquêtes offi­cielles, agré­men­tées de petits tra­fics finan­ciè­re­ment juteux. Mais son monde est en sur­sis, à une époque char­nière de l’histoire poli­tique bri­tan­nique, entre créa­tion d’une force de police offi­cielle et que­relles catholiques-protestants. Alors qu’il piste un sus­pect dans les ruelles mal famées de St Giles pour l’un de ses for­tu­nés com­man­di­taires, Pyke tombe sur une scène d’horreur : un couple et un bébé sau­va­ge­ment assas­si­nés dans leur chambre.
Après enquête, ce meurtre semble lié aux conflits reli­gieux qui déchirent le pays. Mais Pyke se trouve très vite confronté à des per­son­nages trop puis­sants pour lui, et de chas­seur il devient proie. Accusé de meurtre, il est enfermé dans l’atroce pri­son de New­gate, tris­te­ment célèbre pour les condi­tions inhu­maines dans les­quelles elle détient ses pri­son­niers, en atten­dant l’échafaud.

Polar basé sur un fond historico-politique qui relève l’intérêt d’une intrigue inégale, Les der­niers jours de New­gate vaut avant tout pour la per­son­na­lité peu com­mune de Pyke, sorte d’anti-héros que l’on peine à clas­ser, une créa­tion aussi déran­geante qu’attachante. Il assure à ce roman juste ce qu’il faut de gris pour évi­ter l’écueil typique du genre : le mani­chéisme. Emaillé de scènes d’une vio­lence quasi insup­por­table et sem­blant par­fois gra­tuites ou du moins inuti­le­ment détaillées (comme celle où Pyke tor­ture son adver­saire prin­ci­pal avant de le lâcher dans une cage où il sera dévoré par une mul­ti­tude de rats affa­més), le livre pêche mal­heu­reu­se­ment par ses longueurs.

L’intrigue se dis­perse jusqu’en Irlande, où Pyke prend part à la révolte pay­sanne, on se perd au milieu des per­son­nages de poli­ti­ciens véreux qui auraient gagné à être creu­sés, et l’amourette entre Pyke et la belle Emily Edmon­ton avance de façon spo­ra­dique et peu natu­relle.
Par ailleurs, le récit pré­sente des inco­hé­rences fâcheuses (com­ment Pyke, l’homme de ter­rain, peut-il être aussi bien intro­duit dans les plus hautes sphères de l’Etat, sans par­ler de les influen­cer ?), et l’action, plu­tôt répé­ti­tive, s’étoffe au risque d’étouffer le lec­teur, se décentre et perd de son inten­sité sur des che­mins de cam­pagne. Cepen­dant, son héros retient notre atten­tion : cette sorte de Vidocq à l’anglaise, assez sadique pour pou­voir rem­plir un emploi de méchant, et donc dif­fi­cile à appré­cier, nous touche par ses conflits intérieurs.

Le livre est pré­senté comme le pre­mier volet d’une série met­tant en scène le per­son­nage de Pyke. Il sera inté­res­sant de voir com­ment il évo­lue, en homme marié et — sans doute — père de famille hanté par son passé.

 

agathe de lastyns
 
   
 

Andrew Pep­per, Les der­niers jours de New­gate, tra­duit de l’anglais par Daniel Lemoine, coll. “coll Rivages/Thriller”, Payot-Rivages, avril 2010, 395 p. — 21,50 €

 

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