Une magnifique introduction au genre picaresque
Francisco de Quevedo publie, en 1626, El Buscón qui peut se traduire par Le Gueux, Le Vaurien, une œuvre de jeunesse écrite en 1604, qui se distingue par la férocité de son humour. C’est un roman picaresque qui raconte la Vie de l’aventurier don Pablos de Ségovie, vagabond exemplaire et miroir des filous. À la fin du livre, dont l’action se déroule en Espagne, don Pablos embarque pour les Indes.
Quevedo n’écrira jamais la suite annoncée. Dans le livre, don Pablos devient, avec la même désinvolture, valet, étudiant, voleur, mendiant, soudard, chasseur d’héritage, homme de théâtre…
Depuis longtemps Juanjo Guarnido était fasciné par ce livre. Alain Ayroles envisageait d’écrire les errances d’un Don Quichotte dans le Nouveau Monde. À Angoulême, une rencontre va permettre la concrétisation des projets de ces deux créateurs.
Le prologue qui ouvre le récit présente une famille espagnole fortunée avec un narrateur invisible qui évoque sa situation de gueux et sa décision de partir pour les Indes afin de voir si son sort s’améliorera en changeant de monde.
Attaché sur un banc de tortures, un gueux est pressé de questions par le seigneur Alguazil Majeur. Ce gueux s’est présenté de la part de Don Diego, avec une besace qui contient une carte, un pendentif et une tête humaine réduite. Le noble veut savoir où est l’or, où se trouve l’Eldorado. Il est interrompu, dans son questionnement musclé, par son secrétaire qui lui annonce l’arrivée, dès le lendemain d’un nouveau convoi et, dans une semaine, celle de son excellence Le Corregidor qui viendra prendre possession, au nom du roi, de l’ensemble du chargement. Et le gueux continue de raconter son incroyable odyssée malgré les menaces…
Partagé en trois chapitres, ce scénario est superbement construit. Il met en valeur nombre de situations et nombre de personnages que l’on pouvait trouver dans cette partie de l’Amérique dénommée les Indes à l’époque. Avec de nombreux flash-backs les auteurs réussissent un tour de force scénaristique. Avec cette histoire les auteurs proposent un récit à tiroirs dont ils exploitent tout le potentiel pour un résultat époustouflant.
Ils mettent en scène, dans une succession d’actions débridées, les avatars de cette fripouille peu recommandable mais qui attire cependant la sympathie. Ils offrent un récit truculent, ironique, savoureux avec un humour noir, très noir voire cruel, dans l’esprit du roman picaresque dont il se revendique une suite.
Comme dans tous les récits du genre, don Pablos va traverser différentes couches de la société de l’époque, de la plus basse à la plus haute. Mais si Pablos est un vaurien, un gueux, il est surtout un survivant faisant tout ce qu’il faut pour rester en vie.
Juanajo Guarnido, avec son trait unique, a su donner au héros le visage adéquat. D’après les confidences de l’auteur, aucun personnage ne lui avait demandé autant de recherches, de travail d’investigation. Mais ce travail est payant car il réussit à faire la synthèse d’un personnage à la fois fourbe et sympathique, voire empathique, jouant à la fois sur un registre caricatural et sur l’exacerbation de certaines expressions.
Cet album présente tant de situations différentes, de décors, que les recherches ont été longues et ardues. Juanajo a même fait le voyage jusqu’au Pérou pour s’imprégner de la lumière, de l’atmosphère. Il en résulte des pages magnifiques, pratiquement sans dialogues, sans cartouches narratifs tant les images suffisent à elles-mêmes pour exprimer l’action.
Ce voyage, ce récit immersif fait pénétrer dans un univers mal connu et donne une furieuse envie de découvrir ces romans picaresques dont le plus connu, mais peut-être pas le plus représentatif, est le Don Quichotte de Cervantès. Un volet riche de la littérature d’action espagnole à découvrir.
Dans l’attente, surtout ne pas se priver de feuilleter tant et tant cet album exceptionnel car il y a toujours à découvrir. C’est un bel objet à mettre sous un sapin illuminé.
serge perraud
Alain Ayroles (scénario) & Juanjo Guarnido (dessin et couleur), Les Indes Fourbes, Éditions Delcourt, août 2019, 16 p. – 34,90 €.