Un monde qui s’épanouit en volutes
Face à la médiocrité de notre monde, Philippe Le Guillou offre le récit d’une liberté conditionnée en une circulation dans les cultures oubliées. Il reste un insurgé à l’image de son héros, sorte de chevalier antique qui au besoin joue aux osselets retirés des carcasses qu’ils vient d’occire. Malgré les temps de légende d’où il jaillit, il n’a pas encore touché terre : une joyeuse fièvre se perd au centre de son être.
Rien de ce qu’on voit habituellement n’ est sous les yeux. Pourtant, dans ce monde, le lecteur se sent être et en ce territoire de lisière l’inconnu laisse sa trace d’utopie paradoxale.
Par effet de décalage narratif et temporel, les paysages n’ont plus les mêmes couleurs. Le héros à la fois réveille les morts, donne courage, dégrafe les corps. Et s’il risque de perdre un bras au cours d’un combat, il est à parier qu’un tel chasseur trancherait ce qui resterait pendu à son épaule, sous le dédale croissant de lune
Et si, généralement, les écrivains veulent réduire le corps à parler l’amour et les mots à l’ « ornementer », ici s’invente une retranscription où il est saisi de violence plus ou moins illuminée là où l’orée et ses frondaisons n’ont rien de confus mais gardent leur mystère.
La finesse de l’écriture globalise un monde qui s’épanouit en volutes. C’est la fin des littératures consensuelles qui séparent le bien et le mal. Un recommencement s’organise entre déambulation, errance et métamorphose.
Loin de la glose, le mal et Dieu lui-même “parlent” par le héros interposé une langue primitive et nouvelle. Elle échappe à la maternance comme à la loi des pères et des repères. Elle est aussi naturelle que sophistiquée.
Un tel récit de légende inédite produit différents degrés d’ouvertures ou d’étranglements. Ce qui est normal puisqu’il est question de frontière…
jean-paul gavard-perret
Philippe Le Guillou, Le dieu cerf , illustrations de Loïc le Groumellec, Fata Morgana, Fontfroide le Haut, 2019, 104 p. - 18,00 €.