Karen Dalton prouve que Baudelaire put — parfois mais rarement — se tromper : tous les élégiaques ne sont pas des “canailles”. En effet, “à chaque instant le temps s’enfuit” et nous éloigne de l’espace, du temps, de ses fêtes et de la carioca. Chacun pratique les jeux de l’amour qui sont aussi du hasard.
Dès lors, les espoirs sont des coups de dés qui ne l’abolissent pas forcément et sont permis même si Karen Dalton en paya le prix en ses dérives.
Elle avait une voix mais aussi une écriture. Chanteuse de blues et de folk, mariée et divorcée deux fois à 21 ans, arrivée à New York elle devient une égérie de la scène folk de Greenwich Village et c’est Dylan qui la pousse à enregistrer son premier disque parce que selon lui “Sa voix était si unique”. Elle reste une des exceptions féminines au milieu des chanteurs mâles de la folk de l’époque : Fred Neil, Dave Van Ronk, Tom Paxton, Pete Seeger, Phil Ochs et Dylan bien sûr.
Surnommée plus ou moins heureusement « la Billie Holiday du folk », comme cette dernière, Karen Dalton a glissé dans l’enfer des stupéfiants et des excès auxquels elle sacrifia en bourreau d’elle-même. En deux décennies, elle aura traîné sa vie sans pouvoir la relever.
Claustrophobe et angoissée, elle n’enregistra que plus tard son premier album sous le titre “It’s So Hard To Tell Who’s Going To Love You The Best” puis son second opus “In My Own Time”. Ils deviendront des albums cultes mais après sa mort car elle ne connut aucun succès de son vivant. Elle meurt trop vite, rongée par un cancer causé par le Sida. Elle reste donc une étoile filante que l’histoire de la musique et de la poésie a trop vite oubliée.
Pierre Lemarchand — auteur de la biographie Karen Dalton, le souvenir des montagnes (éd. camion blanc, 2016), passionnante biographie de cette grande figure de la folk américaine — la rappelle à nous.
Elle se retrouve telle qu’en elle-même, dans son opacité et sa voix d’exception tandis que la même maison d’édition publie quelques uns de ses poèmes.
jean-paul gavard-perret
Pierre Lemarchand, Karen Dalton une voix idéale, Les éditions derrière la salle de Bains, Rouen, 2019 — 5,00 €.