Mohammed Matmati (dir.), La Méditerranée, enjeu géopolitique mondial

Les enjeux anciens, actuels et futurs du monde méditerranéen

L’inces­sante tra­gé­die des migrants fait cruel­le­ment éprou­ver com­bien la Médi­ter­ra­née peut se voir comme le creu­set de la confron­ta­tion des peuples. A la croi­sée de trois conti­nents (Europe, Afrique, Asie), elle a vu naître la civi­li­sa­tion égyp­tienne des pha­raons, les reli­gions mono­théistes, a connu les grands empires (phé­ni­cien, romain, byzan­tin) et a été la matrice des grandes idées phi­lo­so­phiques.
Mais du fait même de cette concen­tra­tion, de cette richesse, elle est deve­nue un lieu de conflits fon­dés tour à tour sur l’intolérance aux idées d’autrui, l’occupation des ter­ri­toires, la pos­ses­sion des richesses ou la confron­ta­tion pour dif­fé­rentes per­cep­tions des valeurs de liberté et de croyance.

M. Mat­mati est pro­fes­seur en géo­po­li­tique et mana­ge­ment à l’école de mana­ge­ment de Gre­noble ; pour publier cet ouvrage, il s’est entouré de spé­cia­listes et d’universitaires exer­çant dans les écoles de com­merce en France et au Magh­reb. Une intro­duc­tion assez sub­stan­tielle de M. Mat­mati pré­cise le contexte de la réflexion : en bros­sant un por­trait dia­chro­nique de la Médi­ter­ra­née, l’auteur s’arrête sur six points essen­tiels : les révo­lu­tions arabes (Syrie, Libye, Tuni­sie) ; l’apparition de Daesh, les flux migra­toires, la Tur­quie, l’accord sur le nucléaire ira­nien, et quelques autres évé­ne­ments à dimen­sion géo­po­li­tique.
Cette simple énu­mé­ra­tion donne une idée de la por­tée des enjeux. L’ouvrage est divisé en trois par­ties : « La Médi­ter­ra­née, un ensemble géo­po­li­tique his­to­rique », « Les acteurs inter­na­tio­naux et leur stra­té­gie en Médi­ter­ra­née », « Médi­ter­ra­née, quelques grands défis », qui regroupent douze contributions.

Dans « Géo­po­li­tique de la Médi­ter­ra­née : un ter­ri­toire de conflits éco­no­miques, poli­tiques, reli­gieux, envi­ron­ne­men­taux, huma­ni­taires », Jacques Fon­ta­nel pro­pose un large tour d’horizon des enjeux de la région, et de ce qu’elle repré­sente sur le plan géo­po­li­tique mon­dial. Avec « Le Cœur du Proche-Orient au creux de la vague », Yves Sche­meil s’intéresse aux ten­dances struc­tu­rantes actuelles des popu­la­tions dans la société arabe du Proche-Orient.
Moham­med Mat­mati étu­die « Les Pays arabes à la conquête de la démo­cra­tie », et les consé­quences des révoltes dites du « prin­temps arabe », qui ont sou­levé bien des espoirs avant de retom­ber comme des souf­flés mal cuits. Axelle Degans, elle, s’intéresse à « La Médi­ter­ra­née, foyer de proto-émergence » : elle entend par là dire que la zone retrouve une dimen­sion d’influence, une cer­taine cen­tra­lité, res­tant cepen­dant encore à l’état embryonnaire.

Abdel­wa­hab Biad se penche sur « Le Par­te­na­riat euro-méditerranéen de l’Union euro­péenne : une ambi­tion contra­riée » : le pro­ces­sus de Bar­ce­lone ne pourra pas évo­luer tant que la ques­tion des flux migra­toires et celle des dettes sou­ve­raines ne seront pas éclair­cies. Avec « Mer au milieu des terres et empire du milieu », Claude Chan­cel s’intéresse à l’influence de la Chine dans le monde médi­ter­ra­néen actuel. D’un empire du milieu à l’autre, il étu­die pré­ci­sé­ment les rela­tions de la Chine avec chaque acteur du bas­sin mari­time.
Vas­sili Joan­ni­dès de Lau­tour pro­pose une ana­lyse sur « La Rus­sie et la Médi­ter­ra­née » : il montre, par le prisme de l’orthodoxie, com­ment la Rus­sie mène une poli­tique médi­ter­ra­néenne refu­sant l’installation de répu­bliques isla­miques à ses fron­tières. Jean Mar­cou, lui, s’intéresse à « La Tur­quie : une puis­sance médi­ter­ra­néenne ? » : l’article est court, mais fait bien le point sur les ambi­tions médi­ter­ra­néennes de la Turquie.

Hicham Mou­rad se penche sur la ques­tion éner­gé­tique et l’Egypte : mais c’est d’abord par le tour des rela­tions géo­po­li­tiques du pays que se déve­loppe son article, avant de s’interroger sur l’Egypte comme futur géant gazier. Moham­med Mat­mati fonde son ana­lyse sur « Le Magh­reb en panne d’émergence » : à tra­vers une étude his­to­rique, puis thé­ma­tique, il montre qu’en dépit de l’acquisition de leur auto­no­mie, ces pays ne réus­sissent pas réel­le­ment à amor­cer de véri­tables dyna­miques d’émergence, à la dif­fé­rence des BRICS par exemple. Il impute ce retard entre autres à la fai­blesse de la démo­cra­tie dans cha­cun de ces pays, et au déve­lop­pe­ment du fait reli­gieux.
Dans le onzième cha­pitre, Fouad Bou­guetta, avec « Les Migra­tions en Médi­ter­ra­née, une équa­tion com­plexe », prend le contre­pied de Brau­del voyant en la Médi­ter­ra­née une fusion heu­reuse et har­mo­nieuse de l’ensemble des civi­li­sa­tions l’entourant. Il des­sine deux scé­na­rios pos­sibles pour le bas­sin médi­ter­ra­néen : un sur le para­digme colo­nial, un autre sur le para­digme post-colonial, plai­dant pour l’égalité entre les peuples.

La der­nière étude, de Thami Ghorfi, pro­pose une ouver­ture sur « L’Enseignement du mana­ge­ment au ser­vice de l’influence en Médi­ter­ra­née ». Le mou­ve­ment des peuples, l’essor des mul­ti­na­tio­nales, le déve­lop­pe­ment d’écoles de com­merce lui paraissent propres à accom­pa­gner l’évolution du monde arabe.
L’ouvrage, à tra­vers ces contri­bu­tions ori­gi­nales et bien étayées, pro­pose un regard d’ensemble com­plet, varié et per­ti­nent sur les enjeux anciens, actuels et futurs du monde méditerranéen.

yann-loic andre

Moham­med Mat­mati (dir.), La Médi­ter­ra­née, enjeu géo­po­li­tique mon­dial, L’Harmattan, 2019, 332 p. — 34,00 €.

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