Une belle restitution de l’affaire des Poisons
Sur la recommandation de Colbert, Louis XIV nomme lieutenant général de Paris un obscur magistrat, La Reynie, en 1667. Il nettoie la Capitale de la Cour des Miracles, réorganise la police, l’éclairage et le pavage des rues, met en place une lutte efficace contre les incendies… Ce vendredi 17 juillet 1676, il assiste à l’exécution de la marquise de Brinvilliers accusée d’empoisonnements. Elle est décapitée et son corps est brûlé. Mais cette exécution n’arrêta pas les morts par intoxications.
La cour de France est la risée de l’Europe, surnommée La Cour des Borgia. Louis XIV furieux, réunit à Saint-Germain, Colbert, Louvois et La Reynie, leur intimant de lancer une enquête sur les officines de Paris et de mettre en œuvre les actions pour éradiquer ce fléau.
Après la constitution d’un réseau d’informateurs et quelques mois de recherches, la police recense plus de trois cents officines dans Paris et ses environs. L’arrestation de Marie Bosse, une « sorcière », révèle des tentatives d’empoisonnements et des sortilèges contre le roi qui serait du fait de la marquise de Montespan, la favorite de Louis XIV. Pour lutter efficacement contre cette prolifération de crimes et ces complots, le roi institue une cour extraordinaire qui ne jugera que les affaires de poisons.
Commence alors une vague d’arrestations, dont La Bosse, La Vigouroux, Catherine Montvoisin nommée aussi la Voisin… Et certaines ne se privent pas de parler… même sans tortures.
Pour raconter ce que l’Histoire a retenu comme l’affaire des Poisons, le romancier fait du principal acteur, Gabriel Nicolas de La Reynie, le narrateur exclusif depuis le 16 février 1678, quand Louis XIV décide de lancer l’enquête, jusqu’au 21 juillet 1682 quand la cour extraordinaire est dissoute. La Reynie aurait parallèlement fait échouer un complot contre le Roi-Soleil initié depuis l’Angleterre. En effet, il reste cette présence mystérieuse, sur le territoire français, de cet Anglais et la volonté de Charles II, son beau-frère, d’avoir voulu organiser le mort de Louis.
Le romancier donne les raisons de la prolifération de ces officines tenues par des « sorcières ». Celles-ci avaient souvent des connaissances réelles en botanique, en anatomie, en médecine, mieux que les médecins en titre qui n’ont : “…d’égal à leur bêtise que leur prétention…”.
Il rappelle quelle était la situation des femmes à cette époque. Celles-ci vivaient, comme aujourd’hui, dans de trop nombreuses régions du globe, sous le joug de leur père, de leurs frères puis de leur mari qui les martyrisaient, les spoliaient. Elles commençaient donc par des philtres pour les rendre plus affectueux, amener un retour de l’amour. Si ceux-ci restaient sans effets, ce qui était souvent le cas, qu’elles continuaient à être maltraitées, battues, elles se décidaient à passer à un stade plus radical.
De plus, l’état de veuve offrait bien des avantages, dont la liberté. C’est pourquoi certains de ces poisons étaient dénommés des poudres de succession.
“Comprendre n’est pas forcément excuser” dira La Reynie au roi qui lui reproche d’être sensible à la situation féminine. Parallèlement, le romancier détaille les procédures policières, les tortures, les interrogatoires, les supplices dans Paris. Il raconte la vie à la cour au plus près de la réalité, les principaux personnages de l’entourage du roi, les réunions avec Colbert, Louvois. Il donne les raisons de Louis XIV pour quitter le palais de Saint-Germain et la construction de Versailles.
Il évoque le lever du roi, les bruits intestinaux sur la chaise percée, l’odeur pestilentielle qui gagne la chambre. Et dire que des nobles se battaient pour être présents ! On relève, toutefois, un petit souci de date. En tête du chapitre, il est indiqué vendredi 23 février 1680 et, en page 288, la Reynie donne le supplice de la Voisin le jeudi 23 février.
Une sorcière à la cour est un roman historique passionnant, documenté, détaillé, précis, avec un style alerte, des dialogues enlevés, qui raconte de belle façon une page d’histoire en comblant adroitement les oublis, les non-dits, les lacunes, se glissant dans les zones non écrites de l’histoire officielle.
serge perraud
Philippe Madral, Une sorcière à la cour, JC Lattès, octobre 2019, 480 p. – 20,90 €.
Cher monsieur Perraud,
Merci pour votre critique élogieuse de ma “Sorcière à la cour”, dont je viens de prendre connaissance.
Bravo également à l’acuité de votre lecture. Il y a une coquille en effet page 288, que j’ai laissé passer. L’exécution de la Voisin a eu lieu un vendredi (23 février 1680), et non un jeudi.
La date de l’écriture du chapitre par La Reynie est d’ailleurs datée du vendredi, suite à l’exécution, ce qui est la logique.
Bien cordialement à vous,
Philippe Madral
Bonjour,
C’est moi qui vous remercie pour le plaisir pris à suivre La Reynie, son humaniste dans une affaire longue, complexe et douloureuse. Vous restituez celle-ci avec une remarquable précision. Et l’infime détail que je me suis permis de relever n’enlève rien à la qualité de votre remarquable livre.
Dans l’attente de votre prochain roman…
Très cordialement.
Serge