Comme son titre le suppose, J’en gage le corps n’est pas une peau ou une pellicule. Il n’est pas plus un écran. C’est un bain capable de ramollir la chair de l’inconscient. Symbiose. Lieu du non lieu. Non-lieu du lieu tout autant.
Le poète y circule en fantôme autour de ses fantômes. De ses amours — rachetées ou non. Désert du lieu, présence où une ombre naît « d’obscurs corps / mot gestes appuis / qui se dérobent ».
D’où des présences en creux. Mais les mots en volute percent un non-lieu et un silence par désir de clarté là où le temps a posé sa poussière sur l’inconscient. Chaque poème devient une « chora » — lieu opposé à l’espace de dispersion mais en même temps espace sans lieu capable pourtant d’une transfusion capitale à l’épreuve du temps.
Le texte construit un écrin à hantise, un souffle qui attise la mémoire « mort e» pour qu’elle redevienne vive. Sans donner pour autant de clé à son auteur sur l’humaine condition. Reste son exposition inquiète. Hervé Martin en casse le marbre pour en récupérer en ses fractures la poussière. En ce sens, ce livre n’est jamais un deuil, un temps arrêté, une posture figée. Il semble même parler plus que l’auteur et ses ombres.
Restent les inquiétude du corps, ses émanations mais aussi ses biffures et son « hébétement ». Creusement de formes et secousses. Des images oubliées, inconnues soudain reviennent (au sens gastrique du terme). Elles semblent familières en une alliance inconnue. Elles reposent sur une connivence tacite et secrète. Sur une complicité aussi. D’un espace-temps des plus profonds, le livre devient l’excavation.
jean-paul gavard-perret
Hervé Martin, J’en gage le corps, Editions de l’Amandier, coll. Accents graves, accents aigus, 2019, 80 p. — 13,00 €.