Le Bureaucrate de l’Apocalypse
Le satanisme et la création comme acte transgressif sont au centre de l’oeuvre de Huysmans (1848 — 1907). Le doloriste fut le spécialiste des coeurs souffrants, tordus et brûlants des mille feux de l’enfer. Il est vrai que l’auteur sait ce qu’il en est. Il paya de sa personne lors des dernières années de sa vie où il souffrit d’un cancer du visage qui le transforma, selon les responsable de l’édition, en “statue vivante de la douleur”.
Dix textes, sept nouvelles et une novella , présentés en un choix chronologique, s’arrêtent à sa première conversion (1891) qui eut lieu via l’art religieux. Cette édition ne recouvre donc qu’une partie de l’oeuvre. Ne sont réunis ici que les textes majeurs du “Bureaucrate de l’Apocalypse”. L’auteur fut en effet un gratte-papier administratif scrupuleux qui a réussi par son oeuvre a sortir de la vie de bureau — même s’il ne se priva pas d’écrire lors de son travail au ministère (ses manuscrits en témoignent).
La vie de fonctionnaire ne l’a donc pas empêché de créer tout en lui assurant une sorte de sécurité matérielle. Le fonctionnaire bien noté, homme d’habitude et parisien invétéré, flâneur des deux rives n’aura pratiqué des voyages ou des sauts de puce que pour voir les cathédrales et relancer un travail tout en dureté et “furor”.
Atrabilaire, aigri, naturaliste et luciférien, maître de l’érudition historique, Huysmans avant de devenir moraliste mystique, a déjà refusé la narration classique. Dans ses fictions pessimistes et fébriles rien ne se passe, rien — ou pas grand chose. Néanmoins, l’écriture violente, vibrante, évocatrice va droit au corps, la chair en est retournée dans le refus d’idéalisation et le goût des mots et du détail.
L’oeuvre reste avant tout autofictionnelle. L’auteur y est à peine déguisé au sein de la solitude contemplative de ses personnages. Ils lui ressemblent en des romans sans romanesque et — dans l’époque des textes retenus ici — sans rédemption.
Ce temps n’est alors pas encore advenu : les monstres règnent.
jean-paul gavard-perret
Joris-Karl Huysmans, Romans et Nouvelles, Édition publiée sous la direction d’André Guyaux et Pierre Jourde, La Pléiade, Gallimard, 2018, 1856 p. — 66,00 €.