Retourner à la nature n’est pas évident !
L’action du roman se déploie sur deux époques. L’une commence du 31 juillet 1914 jusqu’en juillet 1915. L’autre, outre un court chapitre au printemps 2017, au mois d’août de cette même année. Avec ces deux époques qui se répondent d’une certaine manière, Serge Joncour propose un roman attractif par son intrigue, par la qualité des sentiments exprimés, par la justesse de ton pour évoquer des émotions et par la façon dont il fait vivre cette première année de la Grande Guerre vue depuis une région isolée, bien loin du front.
Il raconte, avec rigueur, la vie des femmes qui, du jour au lendemain, se sont trouvées avec des moissons à faire, des récoltes, des terres et des bâtiments à entretenir, des enfants à éduquer et les mille autres choses qui leur incombaient déjà. Il fait part de leur épuisement, de l’attente de nouvelles de ceux qui sont partis, de la recherche de soutiens comme celui de la religion. Il décrit les rumeurs, les superstitions, les commérages et la peur entretenue par ces fauves au-dessus du village dont on entend les grondements.
Il met en scène, de façon remarquable, le désarroi de Frank qui n’a plus de contacts extérieurs, qui découvre la compagne, la nature, la vie grouillante de la nuit. Et c’est la rencontre difficile avec ce chien qui va le pousser à évoluer d’une façon inattendue pour lui.
Dans la nuit de ce 31 juillet, un tapage, des cris d’animaux réveillent les habitants du village d’Orcières-le-Bas, sur le Causse du Quercy. Ceux-ci vivent dans la crainte du retour du loup et d’autres prédateurs. Un homme étrange passe.
Pour ses vacances, Lise cherche un lieu au plus près de la nature, du soleil, de l’isolement. Elle a vaincu un cancer et cherche à mieux vivre. Sur un site Internet, elle repère une maison qui lui semble isolée, perdue au milieu des collines. Frank, son époux, est épouvanté à l’idée d’être coupé de ce qui fait sa vie, de ne plus avoir de contacts, de réseaux.
Et c’est la mobilisation générale en ce samedi 1er août 1914, l’hémorragie des campagnes. Les hommes partent, bien sûr, mais aussi les animaux réquisitionnés tant pour leur force que pour leur viande.
Le village est dominé par le mont d’Orcières, un plateau prospère, ruiné par le phylloxéra à la fin du XIXe siècle. La terre a subi tant de traitements qu’elle est stérile. Les habitants ont déserté et une crainte superstitieuse s’est installée. C’est là, qu’au début de la guerre, avec l’accord du maire, un dompteur de fauves trouve refuge pour lui et ses bêtes. Les habitants ont déjà caché un troupeau de 200 brebis sur le site.
Lise et Frank arrive, non sans mal, le chemin est très abrupt. Si Lise s’intègre immédiatement aux lieux, Frank redoute tout. La nuit, il ne peut dormir, il y a tant de petits bruits qui peuvent être produits par des prédateurs. C’est la rencontre avec un molosse alors qu’en 1914, Joséphine, veuve depuis peu, se rapproche de ce dompteur, un Allemand de surcroît, un ennemi !
Joncour propose la description d’un couple contemporain, bien ancré dans le monde moderne. Elle a besoin de prendre du recul d’aller à l’essentiel. Lui la suit parce qu’ils sont ensemble depuis vingt-cinq ans, qu’ils ont fait face à des épreuves où ils se sont épaulés et que sans elle… C’est la naissance d’un couple, au cœur des années de guerre où tout est bouleversé, un amour entre une femme et un homme que tout pouvait séparer.
Le romancier livre des pages magnifiques sur le couple, sur les relations entre les deux composantes, sur sa construction, son fonctionnement. Entre Lise, une ex-comédienne, Frank un producteur de cinéma en butte à l’arrivée de nouvelles générations, entre le maire et l’instituteur de 1914, le dompteur et l’épouse du médecin disparu, l’auteur amine une galerie, explorant avec tous les sens, les odeurs, la vision, l’ouïe, leur environnement.
Il joue avec ses personnages, les anime d’une superbe manière. Il prend le temps de la description, d’une certaine répétition comme dans le quotidien. Mais il donne à réfléchir sur la part d’animalité tapie au fond de chacun, sur la violence des sentiments, des rapports entre les humains, entre ces derniers et les animaux. Pourquoi donc l’homme est-il la seule bête à faire la guerre, à tuer pour des futilités ?
Chien-Loup se lit avec un grand plaisir pour ses personnages attachants, pour l’ouverture sur des aspects historiques habituellement négligés et pour la grande humanité qui se dégage de ce livre.
serge perraud
Serge Joncour, Chien-Loup, J’ai Lu n° 12 358, août 2019, 544 p. – 8,50 €.