Mise en demeure de l’existence et de l’écriture
Le livre de Clarice Lispector est une mine d’or. Car ses “Chroniques” dépassent largement ce qui s’entend par là. L’accumulation de textes toujours dégagés d’empois, stucs ou sucre crée un plaisir de lecture rare. Clarice Lispector y parcourt des cultures et le monde. Tout est débridé là où la créatrice libertaire se permet incises et fulgurances.
Son écriture semble jaillir naturellement selon son propre art poétique : “ne “fais pas une phrase. La phrase naît” dit celle qui se livre à la dépense dans le sens où Bataille l’entendait.
L’auteure feint d’écrire par paresse car simplement mue d’une curiosité intense. Mais c’est qu’en écrivant elle s’accorde des “surprises inattendues”. Néanmoins, écrire reste cette ascèse d’un genre particulier qui lui permet d’apprendre le monde et la vie hors des normes. Se comprend mieux par ce livre somme tout l’univers et la matière de son œuvre immense.
C’est même sa plus belle porte d’entrée par sauts et gambades, exercices d’intelligence, d’imagination, de drôlerie et de dérives à peine contrôlées.
Se perçoit combien pour Lispector comme pour Duras écrire est “une maladie dont on ne se remet pas”, d’autant qu’elle donne une santé là où tout se mêle, où les rencontres (celles de Nelida Pinon, Moravia et bien d’autres) se ramassent à la pelle et où tout est l’occasion de variations subtiles.
Une mise en demeure de l’existence et de l’écriture navigue sur un fleuve plus Amour qu’Oubli en un brassage du monde, des idées et dans une liberté de parole et de vie.
jean-paul gavard-perret
Clarice Lispector, Chroniques, édition complète, traduit du portugais (Brésil) par Claudia Poncioni, Didier Lamaison, Theresa & Lacques Thiérot, Editions “Des femmes” — Antoinette Fouque, Paris, 2019, 473 p. — 25,00 €.