La réunion explosive de Zaroff et Moreau !
Le nom de Zaroff titille la mémoire, faisant resurgir le titre d’une nouvelle de Richard Connell, The Most Dangerous Game, parue en 1924, traduite en Le Plus dangereux des gibiers. Elle a servi de base au film Les Chasses du comte Zaroff en 1932. Il a été projeté en France en 1934 sous l’intitulé La Chasse du comte Zaroff. Si ce comte, lassé de traquer des animaux, s’en prend à l’homme, le docteur Moreau est un autre prédateur qui veut trafiquer l’être humain.
Alors qu’un individu est poursuivi dans les égouts de Londres, Zaroff déclame sa vision de la vie, des rapports entre la proie et le chasseur. Mais il est déçu par l’attitude de sa créature. Un de ses compagnons le rassure, il va réussir et réaliser le rêve de son aïeul. Pour cela, il dispose de quatre appâts, quatre tristes personnages, des descendants dégénérés par la frivolité, la paresse, l’alcool, la corruption, l’infamie… Ce sont ces quatre proies que Zaroff et Moreau veulent traquer
L’inspecteur Stister est en charge de l’enquête, une enquête peu banale. La mort a été causée par une flèche et il y a des poils partout. Sur les lieux arrive Emily Robinson, journaliste au Guardian. Habituellement, elle fait la rubrique culture, mais comme elle était la seule disponible…
Compton, un joueur d’échecs très prometteur est enlevé. Quand il reprend conscience, il est sur une table d’opérations. Le praticien lui explique qu’il est un sculpteur, qu’il prend le meilleur de la création pour assembler l’être parfait… Des hommes à lui se sont introduits dans un zoo. Ils endorment un tigre et doivent ramener un gorille…
Philippe Pelaez propose une trilogie à la chronologie inversée. Son premier tome se déroule en 2019, et dans les suivants, il remonte le temps. Il donne, ainsi, de façon rationnelle, les réponses aux questions légitimes que se pose le lecteur en découvrant le premier opus quant à des liens entre des personnes historiques authentiques et des protagonistes de fiction.
En 2019, dans Londres, il réunit deux acteurs de la littérature fantastique, à travers leurs descendants. Ceux-ci ont pour objectifs de laver leurs familles de toute infamie en se vengeant de ceux qui ont contribué à salir leurs ancêtres. Zaroff est un chasseur, un oligarque russe dont la fortune lui permet de construire ses pièges. Moreau est un chirurgien qui a sauvé Zaroff et qui participe à la construction d’un être idéal, selon leurs points de vue.
Autour de ces deux personnages, le scénariste anime une galerie de protagonistes de fiction dont il invente la généalogie les rattachant à des personnages historiques tels que Richard Burton l’explorateur, Charles Darwin…, dans un contexte fantastique. Avec cette série, Philippe Pelaez revient sur ce que la science peut faire, sur l’évolution de l’homme, sur le traitement des corps, sur leurs transformations sous l’effet de la chirurgie. Tant celle-ci peut être réparatrice, tant elle peut être dévastatrice sans morale.
Le graphisme, au réalisme criant, est l’œuvre de Carlos Puerta, un dessinateur espagnol. Il réalise des dessins somptueux, de véritables tableaux qu’il met en scène avec vigueur et tonicité. Il donne vie à ces porteurs de l’intrigue qu’il anime de belle manière. Se définissant comme très perfectionniste, il brosse des portraits saisissants, des visages déchirés par la folie, par la terreur, la fureur, éclatants de vie et où les émotions affleurent, se répercutant dans l’action. Aussi à l’aise pour dessiner des intérieurs bourgeois que des paysages, il offre des décors de bien belle facture. Sa mise en couleur, avec un travail fabuleux sur la lumière, transcende les planches.
Cet album est complété par un cahier de quelques pages détaillant les arbres généalogiques des principaux protagonistes et des indications sur les films qui ont mis en scène, dans les années 1930, les deux aïeux.
Ce premier tome interpelle pour la qualité de son intrigue et pour la beauté de son graphisme. Il fait attendre avec impatience le tome 2, Moreau, annoncé pour 2020.
lire la critique du tome 2 : Moreau
serge perraud
Philippe Pelaez (scénario) & Carlos Puerta (dessin et couleur), Maudit sois-tu – t.01 : Zaroff, Ankama Éditions, septembre 2019, 64 p. — 15, 90 €.