Geneviève Haroche-Bouzinac, Louise de Vilmorin, une vie de bohème

Un monde enchanté

Cette bio­gra­phie de Louise de Vil­mo­rin, aussi riche­ment docu­men­tée que dépour­vue de pédan­te­rie, recons­ti­tue, autour de sa pro­ta­go­niste, la vie d’un cer­tain “beau monde“ telle qu’elle pou­vait être entre le début du XXe siècle et les années 1960. Le récit est d’autant plus cap­ti­vant que la bio­graphe sait trans­mettre la fas­ci­na­tion que cet uni­vers lui ins­pire, sans l’idéaliser.
Ainsi, l’enfance de Louise, en manque d’amour mater­nel, mais récon­for­tée par une nou­nou dont l’adulte gar­de­rait la nos­tal­gie, et ras­su­rée par la pré­sence de ses frères, donne lieu à des scènes quasi fée­riques comme celle de la grande crue de 1910, où la petite Lou­lou n’a qu’une crainte : voir bais­ser la Seine ! C’est là un trait typique de sa tour­nure d’esprit, qui peut trou­ver de quoi s’émerveiller même quand il convien­drait mieux de trem­bler d’angoisse.

A une étape ulté­rieure, tout en souf­frant d’avoir perdu son père de bonne heure, et d’être per­çue comme plu­tôt encom­brante par sa mère, la jeune femme garde non seule­ment son humour (dont témoignent ses textes de l’époque), mais aussi une sorte d’insouciance et d’audace qui lui per­met­tront, par la suite, de bien s’en sor­tir à la fois de ses décon­ve­nues sen­ti­men­tales et de ses pro­blèmes maté­riels.
De fait, pra­ti­que­ment toutes les liai­sons de Louise, dont celles avec Saint-Exupéry et André Mal­raux, s’avèrent déce­vantes, plus ou moins vite. Son pre­mier mariage, avec Henry Leigh-Hunt, manque de la faire périr d’ennui pen­dant leur vie com­mune aux Etats-Unis (si loin de Paris !), et donne lieu à une kyrielle de consé­quences déplo­rables, dont la sépa­ra­tion d’avec leurs filles. A ce pro­pos, on peut noter que Louise, peu mater­nelle (ayant de qui tenir), exa­mi­nera sa pro­gé­ni­ture deve­nue adulte d’un œil fort critique.

La bio­graphe nous four­nit un récit éclai­rant de la car­rière lit­té­raire de Louise, issue à la fois d’un talent indu­bi­table, porté à se mani­fes­ter spon­ta­né­ment à chaque époque de sa vie, et du besoin crois­sant de publier pour sub­sis­ter. En défi­ni­tive, Louise de Vil­mo­rin aura trouvé moyen de vivre “en ani­mal de luxe“ (pour citer Saint-John Perse), dans un monde enchanté, tout en lais­sant une œuvre, ce qui n’est pas un mince exploit.

agathe de lastyns

Gene­viève Haroche-Bouzinac, Louise de Vil­mo­rin, une vie de bohème, Flam­ma­rion, octobre 2019, 520 p. – 23,90 €.

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