Fascinée dès 14 ans par Van Gogh, l’artiste commence à peindre : “Ma chambre devient vite un atelier, mon lit rangé chaque matin dans un placard.” Autodidacte, elle tente de s’intégrer à diverses écoles d’art mais n’y fait que passer. Elle opte pour des travaux alimentaires afin de peindre sur ses temps de liberté.
Ses premiers tableaux deviennent des sortes de reliquaire où se sent déjà la présence de Goya et d’une forme de post-surréalisme féminin (Rozeta Hudgi, Maya Bell) où le morbide prend un relief particulier.
Sortant de l’enfermement de la résine qui recouvrait ses toiles, les thématiques de Nathalie Bourdreux s’ouvrent au moment où son travail de gardienne de cimetière lui offre un imaginaire qui réanime ses images premières et la porte aussi vers la sculpture. De retour en Touraine, elle entame un travail de cinq années sur les Ménines.
Dans son oratorio personnel, l’Infante traversera des extraits de l’histoire de la peinture à travers Pietà et Ophélie. Elle s’oriente ensuite et à nouveau vers le corps dans des visions fragmentaires aussi sensuelles qu’impitoyables. Pour preuve, ces “orbes” où l’oeil interroge le regard dans une perspective que n’aurait pas renié Lacan.
A travers un tel motif, existe un retournement de la vue. L’œuvre interroge au plus près le regard qui est censé la voir. De l’œil au regard s’instruit en conséquence la médiation d’un tel travail qui fissure énigmatiquement les certitudes trop facilement acquises sur la contemplation fétichiste du visage. La quête d’un tel sujet devient la sélection d’un certain mode de regard.
Le sentiment de la présence de l’oeil — sombre, achérontesque et qui semble nous regarder du fond des âges — concentre le regard.
L’oeil devient de veilleur de nuit qui guette un improbable passeur d’âmes, renvoie, par sa centralité à la Vanité inscrite dans certains tableaux d’Hundertwasser comme dans les paysages que la créatrice a rencontrés dans l’histoire de sa vie et de ses images. Les orbes représentent les confidentes de ses opérations les plus secrètes.
Ce qui se produit n’est pas de l’ordre du simple point de vue mais constitue une mise en abyme du regard. Il l’habite par l’œil, se cherche en lui comme on disait autrefois que l’âme se cherche dans les miroirs.
Deux opérations ont donc lieu en même temps : concentration mais aussi ouverture du champ. Avec en plus un effet de réflexion : le regard s’éprend, s’apprend, se surprend alors que l’œil butinant et virevoltant reste toujours pressé. Mais Nathalie Bourdreux le fixe avec le poids de la mélancolie et de la mort.
Si bien que l’artiste subvertit les notions habituelles de dehors et de dedans, de voyeur et de choses vues, d’oeil et de regard.
jean-paul gavard-perret
Nathalie Bourdreux, Orbes, Fata Morgana, Fontrfroide le haut, 2019, 24 p.
L’oeil transmet le rugissement vibrant de la vie, quelle puissance! Bravo!
Toujours aussi magnifique… le regard est le reflet de l’âme.… et dans ce regard, on peut tout y lire… bravo