Sarah Kaliski, Exposition

Une oeuvre impla­cable mais ailée

L’artiste belge Sarah Kaliski a d’abord été trau­ma­ti­sée par la mort de son père à Ausch­witz, mais les bles­sures intimes ne se sont pas arrê­tées là. Pour autant, celle qui fut peintre avant de deve­nir une gra­phiste géniale n’a cessé de lut­ter même si elle se sen­tait per­due au milieu du monde ou de rien – ce qui était pour elle un peu la même chose.
Face à cet état des choses, elle a défendu son iden­tité à tra­vers des images récur­rentes qui rap­pellent par­fois Wolinski mais en plus tra­gique. Ses visions sont de fait plus proches quant à l’esprit d’une Kiki Smith ou d’une Louise Bour­geois dont elle par­tage les rêves et des désespoirs.

Le mâle est sou­vent un sombre héros réduit à un gri­bouillage tant il ne fait que pro­po­ser des exis­tences moindres. Face à celui qui dépos­sède de tout comme face à la bar­ba­rie nazie, elle pro­pose d’autres repères mas­cu­lins plus effi­cients (son com­pa­triote Michaux par exemple). Cette expo­si­tion montre et pré­cise l’envergure d’une oeuvre impla­cable mais ailée.
La femme y défend les oppri­més et sa liberté recon­quise. Ce fut pour elle une manière de ren­trer dans l’existence sans com­prendre for­cé­ment tout ce que cela impli­quait mais en y demeu­rant bel et bien enga­gée — mal — mais de plain-pied.

Ce tra­vail capi­tal reste le moyen de bra­ver l’autorité. Face à elle, Sarah Kaliski ne vou­lait renon­cer à rien même si elle souf­frit de dépos­ses­sion et vou­lut se retrou­ver. Existe là un per­pé­tuel appel à la révolte et l’artiste pos­séda long­temps la volonté néces­saire de se battre contre l’absurde et l’horreur.
D’où le carac­tère “épou­van­table” d’une œuvre que sauve néan­moins une sorte de “rire” mais qui, lui-même, n’est plus ce qu’on entend par là puisqu’il est inté­rieur et ne par­vient jamais — ou rare­ment — jusqu’à l’éclat. Tout un monde vibre en indui­sant des chan­ge­ments d’échelle dans la per­cep­tion du monde.

Le des­sin échappe à une vision psy­cho­lo­gi­sante pour atteindre la force d’une fable où les mythes sont retour­nés. Tout est porté à l’incandescence dans une révé­la­tion jaillis­sante de diverses dérives des maîtres et des “cru­ci­fixions” qu’ils induisent.
Dans l’oeuvre, ses des­sins et leurs textes, le corps court dans ses feintes de déli­vrance, par­fois à sa perdition.

jean-paul gavard-perret

Sarah Kaliski, Expo­si­tion, Loeve & Co, 15, rue des Beaux-Arts, 75006 Paris, du 7 au 21 novembre 2019.

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