Une fable qui passe le monde médiatique au vitriol
Alain Kokor revient avec un nouvel album, une adaptation d’un roman de William Kotzwinkle paru aux USA en 1996. Traduit par les éditions Cambourakis en octobre 2014, il a fait l’objet d’une publication en poche, chez 10/18 en janvier 2016.
Arthur Bramhall est effondré. Il voit les feuilles du manuscrit, qu’il vient de terminer, dévorées par les flammes qui anéantissent son vieux chalet. Au matin, devant les cendres, il est rejoint par Val Pinette, bûcheron à mi-temps. Celui-ci est en promenade et lui propose du café. Arthur se présente, mais Val sait qui il est, ici tout se sait.
Un an plus tard, à l’université du Maine, trois collègues d’Arthur échangent des propos moqueurs, voire fielleux à son sujet, se gaussant de sa volonté d’écrire. Cependant, dans son nouveau chalet, le sujet de leurs moqueries met le mot fin sur un nouveau manuscrit qu’il pense bien meilleur. Loin des flammes, il le cache au pied d’un grand épicéa.
Un ours a suivi son manège et, dans sa tête de plantigrade, il associe la mallette à du miel. Ne trouvant qu’un paquet de feuilles portant le titre Désir et Destinée, il est très déçu. Mais il assimile ce paquet à de nombreux pots de miel et part ainsi pour la grande ville. Il vole des vêtements, prend clandestinement un train de marchandises, imagine un nom en s’inspirant de cartons de corn flakes dont il vient de se goinfrer et remplace William Bramhall par Dan Flakes À la grande ville, trois malfrats en veulent à sa mallette. Or, un ours sait se défendre. La scène se passe sous les yeux admiratifs de Margaret Bru qui milite pour le désarmement. Elle est la secrétaire d’un puissant agent littéraire.
Et, comme le pressentait son véritable auteur, le livre est bon, très bon…
Alain Kokor a voulu traiter cette observation de l’humain, de l’animal en faisant une interversion partant du principe que les deux ne sont pas si éloignés l’un de l’autre. Il raconte de façon humoristique, très humoristique le chemin de cet ours traité comme un écrivain, engagé dans un parcours de promotion de son livre, donnant des interviews… Maîtrisant peu le langage des hommes, il livre des réflexions à minima, voire des grognements qui sont perçus comme des pensées philosophiques profondes.
Mais il garde les fondements de son animalité qui veut qu’un ours fasse provision de graisse en vue de sa longue hibernation. Et la nourriture ne fait pas défaut…
L’auteur livre nombre d’annotations sur des aspects des sociétés occidentales, cet engouement cette absence de discernement, cet affolement des médias en quête perpétuelle de scoop sans recul, sans travail sur l’information, sans analyse. Il évoque la dépression du romancier, la jalousie, les milieux littéraires et leur fonctionnement. Il met en avant le travail des attachées de presse, ce maillon essentiel de la chaîne entre l’écrivain et le lecteur.
Il faut reconnaître que le monde de l’édition a le sens de l’humour car, malgré sa description au vitriol de ce milieu, le livre a été édité en grand format, en poche et maintenant en album.
La comparaison est-elle flatteuse quand les médias présentent l’ours comme le nouvel Hemingway ? C’est également une fable, une parabole quant au devenir de l’homme. Alors que l’ours s’intègre de mieux en mieux dans le monde des humains, l’écrivain, avec son nouvel ami, retourne vers la nature, vers l’animalité.
Le dessin de l’auteur est tout en malice, en traits d’humour. Cet album au graphisme attrayant, à la mise en couleurs douces, avec des fulgurances quand la tension se fait forte, est truffé de détails truculents.
Avec L’ours est un écrivain comme les autres Alain Kokor offre un bel album profondément humain.
serge perraud
Alain Kokor, L’ours est un écrivain comme les autres, d’après le roman de William Kotzwinkle, Futuropolis, octobre 2019, 136 p. – 21,00 €.