On retrouve Le Poulpe. Lalie Walker ouvre un bal des damnés qui sent bon l’outrecuidance et l’esprit de cette collection mythique.
L’effroyable Poulpe d’Hubert Michel, Poulpe fiction, ne laissait rien présager de bon pour la suite des aventures de ce libertaire qui a eu 40 ans en 2000. D’autant que, peu auparavant, Jean-Jacques Reboux, avec Castro, c’est trop !, ne s’était pas gêné pour tuer certains éléments de l’univers de Gabriel Lecouvreur. La divine surprise nous vient de Bretagne, où Lalie Walker nous emmène et nous rabiboche avec cette collection. Qu’on se le dise, L’Appel du barge est entendu. Et bien entendu. Après trois années de silence, “Le Poulpe” sort de sa déprime pour mieux nous enchanter. Trois parutions en trois mois explorent trois voies disparates, et cela n’est pas fait pour nous déplaire. Lalie Walker nous propose donc un “Poulpe” classique, tandis que Jean-Marc Ligny (La Ballade des perdus) nous emmène sur le chemin de l’irrationnel gothique et que Francis Mizio se bat contre les NTIC.
Lalie Walker, L’Appel du barge
Gabriel tient sa déprime. Et l’appel du grand blanc ne peut suffire à l’amoindrir. D’autant qu’il lui prend l’envie d’échanger une binouze contre, justement, un verre de blanc. Les faits divers rapportent qu’en Bretagne, les marins meurent en mer pour ne pas subir leur vieillesse. Mais l’histoire devient très vite étrange. Un yacht grand luxe et russe fait des virées en mer du côté de Guernesey. Les batifolages y sont monnaie courante. Un membre du gouvernement tient la caméra. Le Poulpe s’énerve car tout le monde le prend pour un flic. Le commissaire Jeanne Debords sent que sa longue enquête touche à sa fin. Sa rencontre avec Le Poulpe, au milieu de la Manche, la perturbe au plus haut point. Car ce grand échalas lui sauve deux fois la vie alors qu’elle se doit de le tromper.
Lalie Walker ménage une rencontre entre son personnage fétiche, Jeanne Debords, et Le Poulpe. Si, à contre-courant des habitudes “poulpiennes”, leurs chemins se croisent sans que cela débouche sur un épisode charnel, les deux héros sortent grandis de cette aventure commune où chacun combat ses propres démons avec un mélange de tendresse et de sensibilité. Lalie Walker propose un récit simple et efficace qui renoue avec les premiers “Poulpes”, ceux de Pouy et Daeninckx, de Quadruppani et Delteil, bref, ceux qui ont initié un phénomène. Elle y ajoute une touche de poésie bretonnante qui fait de L’Appel du barge un des meilleurs de cette longue série.
Jean-Marc Ligny, La Ballade des perdus
On peut avoir 40 ans et ne pas se sentir dans la peau d’un vieux croulant. Quand la fille de son psy meurt de peur dans son appartement, Gabriel est bien obligé, sur l’injonction de Cheryl qui a la voisine de la morte comme stagiaire dans son salon de coiffure, d’enquêter et de s’immerger dans le monde gothique. Le tout est d’approcher le chanteur du groupe Baphomet, qui revendique son appartenance à l’Ordo Templi Orientis, une secte qui a vu son envol au début du XXe siècle sous l’égide d’Aleister Crowley, un gourou étrange qui aurait assassinée un de ses coreligionnaires. Quand la raison ne trouve pas de réponse, force est de constater qu’il faut alors chercher du côté de l’irrationnel. Le psy de Gabriel est un maître en hypnotisme, Gabriel va donc s’efforcer de convaincre le chanteur du groupe de participer à une séance d’hypnose afin de voir s’il n’est pas schizophrène. Pendant ce temps, une autre victime est à mettre au crédit de celui que Le Poulpe soupçonne d’être un tueur en série.
Jean-Marc Ligny a suivi scrupuleusement la description de la collection. Le Poulpe a une aventure avec une charmante urgentiste, boit de la bière et traîne à la Sainte-Scolasse. Il est jaloux de Cheryl qui accueille une jolie étudiante pour quelques jours dans son appartement et voit ressurgir le fantôme de son plus célèbre ennemi des RG. Maintenant, Gabriel Lecouvreur enquête dans un domaine — le surnaturel — auquel on n’était pas habitué. Le roman, plutôt bien ficelé, conserve cependant ce petit goût amer que les puristes de la raison, comme moi, décèlent assez vite et qui ne les quitte plus. Avec La Ballade des perdus, Jean-Marc Ligny a au moins le mérite d’avoir écrit une intéressante curiosité.
Francis Mizio, Sans temps de latitude
La Sainte-Scolasse se transforme. Le bar du Poulpe se met à l’heure des nouvelles technologies. Tout est informatisé pour le meilleur, surtout. Car ça permet bien de gagner vingt minutes dans une journée ! Adieu Le Parisien, vive l’AFP et ses annonces sur écran. Même le chien est équipé d’un GPS. Tout ça décourage Gabriel, d’autant qu’il a bien du mal avec son téléphone portable et les notices d’utilisation en très mauvais français. Quand une très belle veuve noire lui fait du gringue, Le Poulpe n’a plus qu’une seule idée en tête et dans ses jeans. Quand elle le harcèle par SMS, Le Poulpe n’en finit plus d’être émoustillé. Mais quand en contrepartie elle lui demande la restitution de dossiers qu’il n’a pas, cela l’intrigue. D’autant que d’autres, Japonais ou pas, sont aussi sur les rangs. La lecture des faits divers n’arrange rien. Un homme est mort. Un autre ne répond pas aux mails que lui envoie Le Poulpe qui s’est fait une raison : pour capturer une veuve noire, il vaut mieux tisser sa toile. Et le Web est là pour ça. S’il n’est pas boutonneux, Cheryl en connaît. L’informatique, c’est pour les pros. Gabriel, lui, est plutôt un homme d’action et d’instinct. Ça tombe bien, de l’action, il va y en avoir, de l’instinct, il va lui en falloir !
Avec Francis Mizio, Le Poulpe fait son entrée dans un univers loufoque et absurde. Il est confronté à la mise en abyme de la stupidité d’un monde qui ne tourne pas rond mais à cent à l’heure. Qu’importent vingt minutes dans une journée ? Le ridicule ne semble pas tuer, et Le Poulpe ressent alors le besoin de se défouler. Il lui faut un punching ball. Rien ne vaut un chauffeur de taxi pour se libérer de tous ses instincts primaires. La chirurgie esthétique a de beaux jours devant elle tant le chauffeur dérouille. Et, pourtant, la sauvegarde du Poulpe passera par un remake des Taxis de la Marne. Sans temps de latitude est un roman qui pulse, qui révèle quelques facettes intéressantes d’un auteur obnubilé par les pizzas…
Et comme si le roman ne suffisait pas, découvrez par ici le site que l’auteur lui a bâti…
julien vedrenne
Lalie Walker, L’Appel du barge, Éditions Baleine coll. “Le Poulpe” (n° 251), septembre 2007, 192 p. — 5,95 €. |