Ce recueil d’entretiens de Jean Daive réalisés au fil du temps, du milieu des années 70 à la fin des années 2000, est un parfait chef-d’oeuvre qui se clôt en apothéose par un texte où tout est dit. Auparavant, l’auteur a “remonté les pièces d’un tel puzzle afin de déchiffrer une problématique capitale dans l’art de notre époque : l’articulation de l’image et de l’écrit chez les plasticiens.
L’auteur la pose avec netteté : « Comment s’est-elle organisée cette double rencontre à vivre simultanément – une image désormais est à lire et une écriture désormais est à voir ? Comment cette singulière permutation presque permanente s’est-elle opérée dans l’art d’aujourd’hui ? » écrit-il. Dans cette réflexion, la part autobiographique n’est pas absente puisque l’auteur s’y imbrique et ce, dans tous les domaines, cognitifs et perceptuels.
Il montre que la source de l’art n’est pas seulement l’art lui-même ( que chaque créateur tente de dépasser par son œuvre) mais comment un tel travail entre en contact par divers vecteurs langagiers. Ils créent le dépassement des évolutions antérieures et deviennent une tâche nouvelle de la création artistique dès le début de l’époque de sa réflexion — avec un Alechinsky par exemple.
Les diverses lignes directives qui découlaient de l’évolution de l’art antérieur furent ainsi troublées et réenchantées dès le début du XXème siècle avec les avant-gardes autant poétiques que plastiques. On pense à Dada bien sûr — mais pas seulement au moment où Apollinaire brouille aussi les propres cartes du poème.
Jean Daive montre comment art et écriture évoluent parfois si étroitement liés qu’il faut comprendre leur évolution comme unitaire dans diverses tentations d’oeuvres totales dont l’art russe esquissa dans les premiers temps de la révolution bolchévique un modèle. L’auteur a le mérite de souligner à chaque moment du temps de ses écrits comment se rééquilibrent influences et mixage là où “l’image n’est plus à regarder mais à lire et l’écriture n’est plus à lire mais fait image”.
En conséquence, parfois l’art conserve sa position dirigeante, parfois une certaine idée de la poésie devient synonyme d’art (avec le Lettrisme ou d’autres mouvements). La connexion des arts et des écritures reste à ce titre une rivalité, une concurrence ou un hymen qui deviennent des sources importantes des écritures et des formes.
Toute une philosophie de l’art se tisse à travers la confrontation d’oeuvres aussi diverses que celle de Turrell, Klossowski, Buren, Boltanski, Alberola et bien d’autres. Et si le cinéma lui-même (avec Godard en premier) et la télévision (via la vidéo ou des créateurs tels que Beckett) prouvent combien tous les arts visuels bénéficient d’un tel apport, il est a noté que — et à l’inverse — en littérature le roman demeure hermétique à cette contamination.
C’est sans doute pourquoi il reste à la traîne de la création contemporaine. C’est d’ailleurs un genre que Jean Daive, lorsqu’il s’y est attelé, a modifié non sans raisons.
jean-paul gavard-perret
Jean Daive, Pas encore une image, L’Atelier Contemporain, Strasbourg, 2019, 304 p; — 29,00 €.