Dernier volume de l’intégrale des aventures de Sherlock Holmes dans une nouvelle traduction chez Omnibus.
Avec ce troisième volume des Aventures de Sherlock Holmes s’achève le vaste travail d’Éric Wittersheim. L’homme s’est attaqué à une nouvelle traduction de quelque mille cinq cents pages de récits du plus célèbre des détectives britanniques. L’ouvrage nous est proposé dans une version bilingue avec des illustrations originales que l’on pouvait trouver à l’époque dans le fameux Strand Magazine. On peut être surpris que Sherlock Holmes, résidant au 221B Baker Street, soit si bien connu du grand public français : dans un pays où le roman est roi, sir Arthur Conan Doyle a su convaincre avec ses très nombreuses nouvelles. Ce volume n’en regroupe pas moins de dix-neuf, qui peuvent, il est vrai, souvent s’apparenter à de très courts romans. Regroupées en deux recueils (Son dernier coup d’archet et Les Archives de Sherlock Holmes), elles son encadrées par un roman d’exception, La Vallée de la peur, et par la dernière lettre du grand détective à son complice de toujours (à six années près), le Dr. Watson. Cette information nous est fournie dans une des dernières nouvelles du présent volume intitulée La Pensionnaire voilée :
Si l’on considère que M. Sherlock Holmes a exercé son activité pendant vingt-trois ans, et que durant dix-sept de ces années j’ai pu travailler avec lui et tenir des notes sur ces activités, on comprendra que j’ai à ma disposition une masse de matériau.
On pourra toujours regretter que Conan Doyle ne soit reconnu que comme auteur de romans policiers et espérer qu’Omnibus, peut-être par l’intermédiaire d’Éric Wittersheim, s’attaque désormais à la réédition des magnifiques romans historiques d’un homme qui, de son vivant, était déjà victime de cette même reconnaissance partielle.
La Vallée de la peur
Un meurtre étrange a été perpétré sur la personne d’un Américain, qui vivait reclus dans la campagne anglaise. Sherlock Holmes et Watson sont conviés par Scotland Yard à aider les autorités à résoudre l’imbroglio. L’homme est mort dans son manoir alors que le pont-levis était remonté. A priori, l’assassin est reparti en traversant les douves à la nage. Holmes se demande ce qu’il est advenu d’un haltère. La veuve ne semble pas si éplorée que ça et fait des messes basses avec le meilleur ami du couple. D’autant que le détective, aux sens toujours en alerte, n’arrive pas à comprendre l’exact enchaînement des faits. Quelque chose ne colle pas. Un vélo abandonné est retrouvé caché dans un des nombreux fourrés en lisière de la propriété. Pourquoi le criminel ne l’a-t-il pas récupéré ? La bâtisse est ancienne et Holmes se penche sur son histoire pour, finalement, élucider un mystère fort simple pour ses méninges. La suite est du domaine de l’Histoire du Nouveau continent, au milieu d’une secte minée par la cupidité d’êtres malhonnêtes et meurtriers.
Roman en deux parties, où Holmes et Watson n’apparaissent que dans la première, qui est une enquête traditionnelle où le détective fait étalage de ses aptitudes et de son intuition. La seconde partie raconte un pan de l’histoire du mort, aux États-Unis. On y découvre un récit troublant et surprenant pour un homme qui se retrouve entre les griffes d’une société pas si secrète que ça, qui s’étend dans tous le pays et dont certaines ramifications sont pourries. Conan Doyle, ici aussi, fait intervenir un détective de l’agence Pinkerton. Ce dernier est un véritable héros romanesque au comportement exemplaire, qui prouve par son dévouement et son sacrifice que le père de Sherlock Holmes vouait une grande admiration à Pinkerton.
Son dernier coup d’archet — Les Archives de Sherlock Holmes
C’est dans Les Plans de Bruce-Parkington que l’on retrouve un des personnages essentiels dans l’entourage de Sherlock Holmes. Au milieu d’une vaste enquête d’espionnage, au cours de laquelle les plans d’un sous-marin ont été dérobés, Mycroft, son frère, apparaît pour la seconde fois — on l’avait déjà rencontré dans L’Interprète grec , un texte figurant dans le tome II de l’intégrale. Holmes dit de lui qu’il est doté d’une intelligence hors du commun — bien meilleure que la sienne — qu’il a vouée à sa patrie, sacrifice suprême d’après Conan Doyle. L’espionnage est un thème récurrent que l’on retrouve également dans Son dernier coup d’archet qui conclut le premier recueil, et quand Sherlock Holmes contrecarre un agent allemand qui va rentrer au pays à la veille de la Première Guerre mondiale. Un autre personnage est présent, mais simplement en filigrane. Le professeur Moriarty, le plus grand criminel de tous les temps, reste une menace latente. Son organisation dirige le crime londonien, mais Holmes ne croisera jamais plus son chemin.
Si Watson s’est marié et a commis la pire des infidélités au détective dont les élans du cœur restent canalisés par son cerveau, la disparition de sa compagne lui permet de revenir plus souvent que de raison au côté de Holmes. Il n’en demeure pas moins que l’espace de deux nouvelles, c’est Sherlock himself qui narre ses propres aventures. Dans Le Soldat blafard, où le lecteur assiste à un drame de guerre sur fond de lèpre, Holmes s’excuse d’être aux commandes à la place de Watson. Il ne cesse de regretter son fidèle acolyte qui sait mieux que lui entretenir le suspense. Holmes est en effet confronté à un terrible problème. En sa qualité d’acteur et d’écrivain, il ne peut cacher l’avancée de son raisonnement sans trahir ceux à qui il s’adresse. Il révèle ainsi — brillante habiletéet de Conan Doyle - que seul Watson est apte à écrire ses aventures, ce qui donne plus de corps et de réalité au docteur.
L’ensemble des nouvelles est varié et de bonne facture. Holmes doit puiser, souvent, dans ses notes pour découvrir la réalité, voire dans des encyclopédies quand la solution est biologique (La Crinière du lion). Conan Doyle commet une légère incartade avec un brin de fantastique, dans L’Homme qui rampait, ce qui donne un résultat frustrant, alors que dans Le Vampire du Sussex, une nouvelle qui devrait être fantastique, Holmes réfute l’intrusion de toute irrationalité pour trouver une conclusion cartésienne. Le Pont de Thor propose une machiavélique énigme qui nécessite une mise en scène telle qu’en proposera par la suite Agatha Christie, et qui permet d’affirmer qu’avec ce troisième volume des Aventures de Sherlock Holmes, toutes les facettes du crime et du crime littéraire ont été abordées.
SOMMAIRE DU TOME III
La Vallée de la peur — The Valley of Fear (1914–1915)
Son dernier coup d’archet — His Last Blow :
Wisteria Lodge — Wisteria Lodge (septembre 1908)
Le Cercle rouge — The Red Circle (mars-avril 1911)
Les Plans de Bruce-Partington — The Bruce-Partington Plans (décembre 1908)
Le Détective agonisant — The Diying Detective (décembre 1913)
La Disparition de lady Frances Carfax — The Disappearance of Lady Frances Carfax (décembre 1911)
Le Pied-du-diable — The Devil’s Foot (décembre 1910)
Son dernier coup d’archet — The Last Blow (septembre 1917)
Les Archives de Sherlock Holmes — The Case-Book of Sherlock Holmes :
L’Illustre client — The Illustrious Client (mars 1925)
Le Soldat blafard — The Blanched Soldier (novembre 1926)
La Pierre de Mazarin — The Mazarin Stone (octobre 1921)
Les Trois-Pignons — The Three Gables (octobre 1920)
Le Vampire du Sussex — The Sussex Vampire (janvier 1924)
Les Trois Garrideb — The Three Garrideb (janvier 1925)
Le Pont de Thor — Thor Bridge (février-mars 1922)
L’Homme qui rampait — The Creeping Man (mars 1923)
La Crinière du lion — The Lion’s Mane (décembre 1926)
La Pensionnaire voilée — The Veiled Lodge (février 1927)
Shoscombe Old Place — Shoscombe Old Place (janvier 1927)
Le Marchand de couleurs retraité — The Retired Colourman (janvier 1927)
julien vedrenne
Arthur Conan Doyle, Les Aventures de Sherlock Holmes III (édition bilingue. Traduction d’Eric Wittersheim, ill. originales de Frank Wilies, Arthur Twidle, H. M. Brock, Joseph Simpson, Wal Paget, Alec Ball, Gilbert Holiday, A. Gilbert et Howard K. Elcock),Omnibus septembre 2007, 1088 p. — 23,50 €. |