Faire vibrer ce qui résiste encore
Il existe chez la trop méconnue Guénane une écriture rare. Discrète, impitoyable et non sans humour elle fait entendre “le concerto déconcertant / de l’océan humain humé / au delà des écrans / de fumée de sang d’encens”. Bref, il s’agit de faire retour à ce que les mots, lorsqu’ils ne sont pas monnaie de singe, peuvent déplacer dans leur musique contre les grands silences.
Dès lors, le “Hallali de la lyre” n’est ni aux abois, ni aux abonnés absents. La poésie enjambe la mémoire et la nuit de l’être. Certes, “sans rien demander dans le noir” sinon une injonction essentielle. Faire vibrer ce qui résiste encore.
D’autant qu’à la fleur de l’âge tout est permis. Pas besoin “d’intensifier le mascara des vagues” à l’âme, ni d’agiter le mascaret pour exciter les coquillages. Demeurent des désirs de croire au milieu de petits mensonges dont nul ne peut se passer dans le dur désir d’exister. Mais ce n’est pas une raison pour renoncer.
Il faut savoir faire avec ses démons coriaces tout en rêvant de “couper les ailes aux pendules”. Ou si l’on préfère : changer d’heure, passer de celle d’avoir été à celle de perdurer avant que les temps d’apocalypse enserrent.
Avec un peu de chance nous partirons avant. Et avec un peu plus encore, la poésie pourrait changer le monde. Humains, mes semblables, frères et sœurs d’un même lit défait, encore un effort. Il suffirait à chacun de lire quelques pages qui consentent à l’existence.
Celles de ce livre de folle sagesse par exemple. C’est une petite merveille.
jean-paul gavard-perret
Guénane, Ta fleur de l’Age, Rougerie, Mortemart, 2019, 62 p. — 12,00 €.