Manuel Alvarez Bravo (“ Un photographes aux aguets”)

Les théâtres alchi­miques de Manuel Alva­rez Bravo

Tenter d’appréhender le sens de la pho­to­gra­phie du mexi­cain Manuel Alva­rez Bravo (1902–2002) revient sans doute à explo­rer la signi­fi­ca­tion d’un cer­tain nombre de mots-clés, tels qu’imagination, image, schèmes, sym­boles, poïein et struc­tu­ra­tion dyna­mique. Mais c’est avant tout prendre en compte que la pho­to­gra­phie n’est pas une façon de dire autre­ment, mais un moyen pour dire autre chose. Elle n’est plus envi­sa­gée comme docu­ment. Elle tend à faire sur­gir ce que Par­mig­giani nomme « l’âme des choses » à tra­vers une théâ­tra­lité par­ti­cu­lière. Les ombres ne cessent de s’y mou­voir, de dis­pa­raître, de reve­nir. Très influencé par Picasso, le créa­teur fut à la recherche d’une pho­to­gra­phie pure qui devait tout à son lan­gage et non à son sujet. Et ce, dès le début de son tra­vail. Celui qui était comp­table pour gagner sa vie uti­lisa des pliages de rou­leaux de papier qu’il pho­to­gra­phia : ils devinrent moins des thèmes que des élé­ments de construc­tions abstraites.

La pho­to­gra­phie acquiert un pou­voir phy­sique, non de sur­vi­vance, mais de sur­réa­lité. Lorsque les corps ou les lieux dis­pa­raissent, des ombres et des lumières tissent des icones d’absence. L’artiste mexi­cain ne veut pas expri­mer quelque chose de prévu — un pro­jet conçu à l’avance – mais recherche tou­jours à décou­vrir une vision inédite. S’y pro­duisent les échanges entre les pres­sions venant de l’extérieur et les pul­sions pro­fondes. Le tra­vail se situe donc au croi­se­ment des réso­lu­tions de ces pos­sibles. Il est aussi l’interrogation constante des rela­tions entre le réel et l’image, le corps et les choses.
En huit volets, l’exposition du Jeu de Paume réunit des pho­tos très connues comme des docu­ments d’archive : cli­chés cou­leurs, Pola­roïd et films expé­ri­men­taux. Ils per­mettent de com­prendre com­ment l’imaginaire du créa­teur n’a eu cesse d’anticiper le futur. Bravo a tou­jours su perdre contact avec ce que l’on nomme la réa­lité afin qu’elle devienne autre selon une pers­pec­tive par­fois décon­cer­tante et qui brise les cré­dos des écoles. Car s’il y a du sur­réa­lisme bien sûr chez Bravo, il existe tout autant un pri­mi­ti­visme qu’un géo­mé­trisme à la Bau­haus.
 Ses pho­tos fas­cinent, émer­veillent comme s’il s’agissait de suc­ces­sions de rêves. Mais elles sont tout autant des puits d’émergence d’une cohé­rence oubliée, per­due, défaite. Elles prennent à rebours jusqu’aux tra­que­nards de l’inconscient et de sa fabrique de fan­tasmes de plai­sir et d’angoisse, de vie et de mort. Murs, man­ne­quins, chiens, mar­cheurs, etc. ouvrent des occur­rences qui ne cherchent pas à d’établir des équi­va­lences. Sinon celle d’une équa­tion poé­tique. Diurnes ou noc­turnes, les images, même lorsque des corps y sont cou­chés, ins­taurent des schèmes d’ascension, de ver­ti­ca­lité au sein de grandes lignes dyna­miques à l’intérieur des­quelles viennent s’inscrire les maté­riaux « poé­tiques » de rituels érotiques.

Toutes les prises témoignent aussi d’un goût de la délo­ca­li­sa­tion du réel. Il est envi­sagé en tant qu’expérience. Bravo le remet en jeu, lui donne un souffle plus qu’une simple sur­vi­vance. Les struc­tures les plus dures semblent flot­ter tan­dis que des simples mèches de che­veux main­tiennent une pré­gnance de la matière. Le monde et le rêve sont donc sou­mis à une emprise sub­tile en des pro­ces­sus autant d’empreintes que de retraits. Appa­raît une remise en ques­tion fon­da­men­tale des notions d’image, de réel et de lieu. Le pou­voir des deux der­niers n’est donné que par celui de la pre­mière. Elle est l’empreinte d’un inconnu alors que trop sou­vent elle n’est que le porte-empreinte de la mémoire. Bref, la pho­to­gra­phie a sou­dain le pou­voir de deve­nir lieu de son propre lieu.

jean-paul gavard-perret

Manuel Alva­rez Bravo, ” Un pho­to­graphes aux aguets” , Musée du Jeu de Paume, Paris, du 6.10.12 au 20.1.13.
Manuel Alva­rez Bravo, Edi­tions Hazan, Paris, 2012, 288 p., –50,00 euros.

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