Vers l’infini et au-delà
Il y a 2 ans, James Gray nous avait terrassés avec son magnifique The Lost City of Z, et c’était peu dire que l’attente était forte pour ce space opera annoncé. Eh bien les amis, nous vous l’annonçons, nous avons affaire à son double spatial, spectaculaire et introspectif, un « Armaggedon meets Terrence Malick ! ».
Ad Astra suscite bien la même exaltation aventurière que son précédent opus, mais cette fois mêlée d’une certaine frustration, sentiment né d’un équilibre instable dans les ambitions scénaristiques.
Car, ambitieux, le film l’est résolument, abordant les mêmes thématiques que dans l’œuvre précédente : l’exploration d’un univers inconnu et hostile, une aventure humaine, une quête quasi mythologique. Mais cet argument ne suffit pas à James Gray. Son héros est en effet également à la recherche de son humanité perdue. Et c’est dans ce tiraillement entre spectacle et introspection que le film se perd un peu.
Cet équilibre essentiel qu’atteignait Kubrick dans 2001 l’odyssée de l’espace n’est pas donné à tous. Mais l’effort et l’ambition sont à saluer.
Retour sur l’histoire : passé une vertigineuse scène « catastrophe » d’introduction, nous faisons ainsi la connaissance de l’astronaute Roy Mc Bride (Brad Pitt), indestructible « All American Hero » aux nerfs d’acier (son pouls ne s’emballe jamais à la surprise de ses supérieurs), d’un professionnalisme à toute épreuve, mais qui cache, tel le Neil Armstrong de « First Man », un détachement émotionnel pathologique.
Traumatisé par la disparition de son père, astronaute pionnier, 20 ans plus tôt lors d’une mission vers Neptune, Mc Bride est désigné pour un sauvetage périlleux. La Terre est en effet menacée par des rayons cosmiques meurtriers en provenance de ….Neptune, et Mc Bride père aurait quelque chose à y voir. Vous avez dit Quête du Père ? Débute alors pour notre héros une odyssée par étapes. Le voyage vers la Lune, celui vers Mars puis le vol pour Neptune.
Ces épisodes spatiaux font preuve d’une grande maîtrise du spectaculaire et d’un esprit « serialesque » réjouissant : la grande poursuite en jeep lunaire ressemble à une attaque de diligence par les Indiens dans le Far West, la rencontre d’une entité mutante dans un laboratoire à la dérive est terrifiante et gore, le « cliffhanger » de l’entrée clandestine dans une fusée en plein décollage encore jamais vu… James Gray ne ménage pas ses grandes scènes d’action et de suspense, faisant preuve d’une indéniable virtuosité.
Quelquefois un peu « too much » (le retour vers son vaisseau en combinaison spatiale avec bouclier de fortune à travers une ceinture d’astéroïdes), au détriment de la vraisemblance tellement notre héros semble résister à tout et surmonter les obstacles avec facilité. C’est dommage car le film nous fait ressentir comme rarement le caractère mortifère et hautement hostile de l’environnement spatial, les morts jalonnant régulièrement le voyage de Mc Bride.
Les images iconiques de la conquête spatiale ne manquent pas non plus, tel ce plan répété de l’astronaute au premier plan se rapprochant de la fusée dressée sur son pas de tir au lointain. Il faut souligner également une direction artistique remarquable, la photo pendant l’épisode lunaire est magnifique de contraste et se rapproche des films couleur kodakrome d’époque des missions Apollo.
Dans le même temps, le réalisateur veille à ne pas surcharger ses images et ses dialogues d’une technologie trop envahissante ou datée. « Near Future » est le maître mot. L’immersion est totale et l’excitation grandit à mesure que l’exploration de notre héros progresse.
Mais plus la solitude se fait présente au fur et à mesure de sa quête éperdue dans les étoiles, plus l’introspection grandit. Le personnage n’est pas dénué d’empathie (après l’équipée sauvage sur le sol lunaire, il prend des nouvelles de son co-équipier, joué par le toujours impeccable Donald Sutherland), mais les messages envoyés par sa femme montrent une incompréhension dans son couple. La voix intérieure de Mc Bride fait alors son apparition lors d’une séquence sous-marine d’une symbolique lourde de sens : il progresse et s’extrait de l’eau comme du placenta nourricier en se guidant à l’échelle « cordon ombilical » , à la rencontre du père.
La voix off ne nous quittera plus, elle accentue dans la dernière partie le versant « psychologisant » de l’aventure. C’est sa limite. En effet, le jeu tout en finesse, faussement monolithique du beau Brad se suffit à lui-même quand il s’agit d’évoquer le trouble grandissant de Mc Bride ; les gros plans dévoilant ses imperceptibles tics faciaux sont éloquents (Brad Pitt montre encore une fois cette année l’étendue de son talent après sa prestation formidable dans Once upon a Time … in Hollywood). Pas besoin d’en rajouter en explicitant ses états d’âme dans un geste à la Terence Malick des mauvais jours.
Attention, loin de nous l’idée de blâmer toute voix off au cinéma, elle se justifie souvent, même dans la version 1982 de Blade Runner par exemple, accentuant le côté Film noir très 40s et soulignant l’humanité du personnage. Egalement dans Apocalypse Now, dont l’histoire se rapproche d’Ad Astra d’ailleurs par cette quête de Willard remontant le fleuve à la rencontre du mythique Colonel Kurtz. Le personnage hébété joué par Martin Sheen est constamment accompagné par sa voix intérieure qui le guide dans ce cauchemar éveillé totalement baroque et irrationnel qu’est la guerre du Vietnam filmée par Coppola.
Dans le cas qui nous intéresse, est-ce une intervention des producteurs et du studio pour expliciter et humaniser le personnage ? Une tendance très contemporaine visant à pré-mâcher l’interprétation du film pour le spectateur, à anéantir le mystère, nous en conviendrons.
Au bénéfice du film, notons toutefois les scènes récurrentes d’examens psychologiques subis par le personnage soulignant de manière subtile la fragilité de l’astronaute en milieu hostile et montrant petit à petit une armure qui se fissure. Voilà une démonstration par l’image ! Procédé utilisé également avec brio dans Blade Runner 2049. Autre film où le même supposé jeu minéral de Ryan Gosling fait merveille d’ailleurs.
Malheureusement notre histoire se gâte vraiment quand Mc Bride atteint l’objet de sa quête !!! ATTENTION SPOILER !!! et rencontre finalement son père et la menace pesant sur le monde. On s’attend au Monolithe de 2001…, au « Dieu venu du Centaure », et l’on assiste à un pauvre échange de banalités avec un vieillard déboussolé : « je t’aime mon fils, mais je veux rester ici finir mon travail pour rencontrer des aliens… ». Pour voir ses motivations contredites dès la scène suivante, dite du suicide dans le vide du voisinage Neptunien. Ne reste plus à notre Ulysse interstellaire, qui peut finalement faire son deuil du papa prométhéen (gros symbole), qu’ à faire péter la bombe à même d’ éradiquer une menace mondiale qu’on avait oubliée et à rentrer à la maison avec le souffle atomique. Retrouvailles avec l’être aimé sur le plancher des vaches autour d’un café. Et l’on sent bien dans les regards que tout a changé. FIN DU SPOILER. Déception.
Bon, vous l’avez compris, ce n’est pas 2001 …, ni même Interstellar, cette fin ratée compromet de belles ambitions et de beaux accomplissements, une aventure stellaire pourtant passionnante et réellement haletante.
Rien que pour cela, on a envie de continuer notre périple avec Mc Bride, « vers les étoiles ».
j.f sebastian
Ad Astra
De : James Gray
Avec : Brad Pitt, Tommy Lee Jones, Ruth Negga
Genres : Science-fiction, Drame
Date de sortie : 18 septembre 2019
Durée: 2H04mn
Synopsis
L’astronaute Roy McBride s’aventure jusqu’aux confins du système solaire à la recherche de son père disparu et pour résoudre un mystère qui menace la survie de notre planète. Lors de son voyage, il sera confronté à des révélations mettant en cause la nature même de l’existence humaine, et notre place dans l’univers.
Très beau texte, bien écrit qui rend hommage à l’un des grands films de l’année.
Les parallèles avec Interstellar ou BR2049 ne s’imposaient cependant pas : James Gray ne joue tout simplement pas dans la même cour (de récréation) que Nolan et Villeneuve. Film après film, il construit l’une des œuvres les plus singulières et cohérentes de ces dernières années.
L’attente après le sublime Lost city of Z était certainement, et de toute façon, trop grande pour éviter une légitime déception. Mais la fin un peu bancale avec Tommy Lee Jones ne me paraît pas si ratée même si elle contribue au sentiment que Gray est passé à côté d’un chef d’oeuvre pour se contenter d’un bon film (ce qui n’est déjà pas si mal).
Après tout c’est un choix assez courageux (anti-hollywoodien et proche en cela de City of Z) que celui qui consiste à tourner le dos à une fin spectaculaire.
Son père est une personne assez médiocre et la fin est en accord avec cela. Il doit tuer le père, c’est évident mais étant donné le personnage la montagne ne peut qu’accoucher d’une souris tant le fils est supérieur à son père en tous points.
Bonjour DelMed Kenobi ol’ buddy !
content que ma critique t’ait plu néanmoins il restera toujours des points de désaccords. Irréconciliables nous étions sur Villeneuve et BR 2049, irréconciliables nous resterons. C’est un elongue histoire entre nous… Quant à Nolan, cet auteur est selon moi un des plus grands réalisateurs de ces 10 dernières années et Interstellar une franche réussite, tout comme Dunkerque d’ailleurs. Cela n’enlève rien à James Gray, loin de moi la volonté de comparer ou d’évaluer un réalisateur par rapport à l’autre, je tiens simplement à soulever des points communs ou dissemblables entre certains films pour éclairer plus avant mon propos.
Je suis en outre en désaccord sur ta vision du père : il est tout au long du film décrit comme un héros pionnier de l’exploration spatiale suscitant l’admiration de tous, et le soupçon qu’il pourrait avoir “trahi” ou tout du moins perverti sa mission est diligemment mis sous l’éteignoir par les responsables de SpaceCom. Ainsi donc je ne vois pas en quoi il serait dépeint comme une personne médiocre. Mais le traitement qui lui est réservé dès sa rencontre physique déçoit fortement selon moi. Comme tu le dis, la montagne a accouché d’une souris. La fin est bien assez spectaculaire selon moi avec ce retour rocambolesque en combinaison vers son vaisseau à travers les astéroïdes. Mc Bride super-héros ?