James Grady, James Lee Burke, Stuart Kaminsky : Rivages nous propose du noir en masse, mais que du lourd. Avec en prime un classique de l’espionnage.
Voici une sélection de trois romans noirs parus aux éditions Rivages et écrits par autant de monstres sacrés du genre. Si Les Six jours du Condor est devenu immortel — en digne représentant du roman d’espionnage qui se démarque du James Bond de Peter Fleming - alors qu’il se trouvait divisé par deux à l’occasion de la magnifique adaptation cinématographique où Condor était incarné par Robert Redford, Purple Cane Road et Biscotti à Saratosa s’inscrivent davantage dans le domaine social et plantent un décor hybride : ethnologique et d’ambiance. Tous ont en commun ce que James Grady rappelle dans sa brillante introduction, le Pourquoi ? d’Hitchcock, le fameux McGuffin.
James Grady, Les Six jours du Condor
La Société Américaine de Littérature est une façade. Son sein abrite des agents de la CIA. Ronald Malcom, nom de code Condor, est quelqu’un à qui la chance sourit. Momentanément absent des bureaux, il échappe à une mort certaine. À son retour, il découvre ses collègues baignant dans leur sang. 493‑7282, c’est le numéro d’urgence à composer. Au bout de la ligne, une voix lui donne rendez-vous en ville. Il manque alors de se faire assassiner. La CIA est une vaste institution, mais envahie par des agents doubles. Condor doit découvrir ce qu’il sait, la raison pour laquelle on veut le tuer ainsi que les commanditaires. Il ne peut compter que sur lui-même, tout en se fiant à une inconnue qui va trouver la mort pour lui. Un vieil homme, intelligent et efficace, que l’on croit avoir mis au placard, essaie de démêler cet imbroglio. Le FBI et la police sont aussi sur les rangs. À Washington, les habitants ne se doutent pas que des dizaines d’hommes mènent une course contre la montre et la mort à la recherche d’un modeste et inexpérimenté agent de la CIA.
Premier roman de James Grady, Les Six jours du Condor propose une trame très bien construite et enlevée. Beaucoup de rythme, dans un style impersonnel qui n’exclut ni l’humour ni l’absurde, à la truculence jouissive. Cette réédition est accompagnée d’une introduction enrichissante de l’auteur, qui date de 2006, et d’une nouvelle, Condor.net, qui confirme que “l’histoire ne se répète pas, mais qu’elle rime” avec la troisième génération d’un agent héroïque et d’un drame.
James Lee Burke, Purple Cane Road
Quand Zipper Clum, un petit maquereau sans importance, meurt, il ne se doute pas qu’il va être à l’origine d’un véritable ramdam. Son meurtre fait resurgir une vieille histoire, celle de Mae Robicheaux née Guillory, la mère du détective David Robicheaux, disparue mystérieusement sur Purple Cane Road. Celle qui avait fui un mari alcoolique avant de refaire sa vie a été assassinée par des flics et non par des voyous. À la Nouvelle-Orléans, la police des mœurs à de drôles de mœurs. Les magouilles et les parties gratuites de jambes en l’air sont monnaie courante, quant au meurtre en lui-même, il est une composante incontournable. Robicheau et son acolyte, Clete Purcel, remuent toute une fange qui aboutit directement au procureur général, la belle et douée Connie Deshotel, qui fricote avec Jim Gable, un pourri de première qui transpire le mal et qui a été l’amant de la femme de Robicheaux. Pendant ce temps, Passion Labiche est dans le couloir de la mort. Son crime est de s’être fait justice elle-même en tuant celui qui l’avait abusée dans son enfance. Le gouverneur aimerait l’amnistier, mais il doit rendre des comptes à ses administrés, et les élections approchent.
James Lee Burke propose un excellent arrêt sur image sur une partie de la société cajun, son héritage et son présent. Au travers d’une plongée dans le passé de son plus fidèle détective, c’est toute une dramaturgie de situation qu’il instaure, où l’horreur et l’effroi se révèlent.
Stuart Kaminski, Biscotti à Sarasota
Lew Fonesca est un huissier de justice, qui a posé ses valises dans un deux-pièces de Saratosa, non loin de la 301, le jour où sa femme a été tuée par un chauffard qui a pris la fuite. Il est dépressif, suit une thérapie et est sans le sou. De temps en temps, il enquête. Deux affaires se présentent. Une mère recherche sa fille qui est attirée par son père, homme violent et qui abuse d’elle. La dernière fois qu’elle a été vue, Adele tapinait pour un petit maquereau. Melanie, une jeune femme mariée à un riche sexagénaire, a disparu, vidant tous les comptes communs du couple. Carl est éperdument amoureux et prêt à toutes les concessions pour la retrouver. Lew va errer dans la ville, aux prises avec un dangereux promoteur immobilier. Dwight, le père d’Adele, a juré de le tuer. Et c’est Beryl, sa femme, qui est sauvagement assassinée dans le bureau de Lew. Lew dont les rêves lui procurent trois anges gardiens. Un inconnu râblé et pugnace, Ames, un têtu qui lui doit une faveur et Flo, une riche alcoolique à la détente facile. Au milieu, Sally et ses deux chenapans d’enfants, auxquels s’attache Lew.
Stuart Kaminsky réalise un roman classique et efficace. Sans grande originalité, mais avec beaucoup de personnages à l’identité bien construite et intrigante, qui font de Biscotti à Saratosa une tranche de vie où amertume et fatalisme sont au rendez-vous. De la violence, de la prostitution et de la psychologie dans un monde qui laisse de sales traces et qui surprend.
julien védrenne
James Grady, Les Six jours du Condor (traduit de l’américain par Jean-René Major et Sylvie Messinger) suivi de Condor.net (traduit de l’américain par Jean Esch), Payot & Rivages coll. “Rivages/Noir” (n° 641), avril 2007, 284 p. — 8,00 €. |