Parfaite anti-métaphysique
Parmi tous les hétéronymes inventés par Fernando Pessoa, Alberto Caeiro est un des plus intéressants et sans doute le plus beckettien du lot. A l’inverse d’Alvaro de Campos, le grand créateur d’allégories universelles, propagateur de modernité, cet épigone se méfie des fables fussent-elles affables et des étirements plus ou moins brillants. Il préfère dire “juste” — et profond: “je dors pour la même raison que je me réveille / et c’est dans l’entre deux que j’existe”. D’une certaine manière tout est dit.
Celui qui se fait héros sans envergure, simple passant témoin des chemins qu’il emprunte, trouve là de quoi enrichir sa conscience. Le peu qu’elle semble être fait de lui un sage même lorsqu’il s’agit d’aborder la mort à venir : « Non pas penser mais voir », ne rien quémander, accepter et attendre selon un périple moins long que ceux des héros qui, dans leur passivité, espèrent encore un peu.
La poésie devient une parfaite anti-métaphysique et un parpaing dans la mare de ceux qui prétendent penser plus haut que la vie en en brouillant les cartes afin de cultiver une forme de cécité mentale. Caeiro opte au contraire — comme l’écrit Novarina — pour un “long exercice d’imbécilité” bien comprise.
Elle permet d’éviter des erreurs fondamentales. Celles “de ne vouloir comprendre que par l’intelligence” et “d’exiger du monde / Qu’il soit autre chose que le monde”.
N’existent pour Caeiro ni vérités ni certitudes. Tant sur le plan physique que moral : « j’accepte l’injustice comme j’accepte qu’une pierre ne soit pas ronde ». L’auteur — du moins son double — consent à l’indifférence — tendre ou non — du monde et du destin. Son double semble s’y enfoncer mais sa conscience reste aiguë là et où le consentement au “peu” est toujours de mise.
Le tout est de savoir le mesurer.
jean-paul gavard-perret
Fernando Pessoa, Poèmes jamais assemblés, traduction du portugais par Jean-Louis Giovannoni, , Isabelle Hourcade, Rémy Hourcade et Fabienne Vallin, Editions Unes, Nice, 2019, 26 p. — 16,00 €.
DE TOUT, IL RESTA TROIS CHOSES (Fernando Pessoa)
De tout , il resta trois choses:
La certitude que tout était
en train de commencer,
la certitude qu’il fallait continuer,
la certitude que cela serait interrompu avant que d’être terminé.
Faire de l’interruption, un nouveau chemin,
faire de la chute, un pas de danse,
faire de la peur, un escalier,
du rêve, un pont,
de la recherche…
une rencontre.
Ce poème, ma fille résidant en Californie le lisait, précisément où sa grand-mère en France s’envolait vers un monde plus vaste. Elle s’aimait tendrement et se sont reliées par la pensée et la poésie.… Synchronicité … Correspondance de deux âmes …