Laurent Martin, La Reine des connes / Francis Mizio, Pizza sur la touffe

Deux nou­velles Suites noires dia­mé­tra­le­ment oppo­sées dans leur approche du roman noir. L’une clas­sique, l’autre décapante.

Laurent Mar­tin et Fran­cis Mizio, qui ont tous deux fait leurs gammes à la “Série Noire” - une condi­tion sine qua non pour inté­grer “Suite noire” mais à laquelle échappa le seul Patrick Ray­nal, qui diri­gea la pres­ti­gieuse col­lec­tion pen­dant plus d’une décen­nie — nous pro­posent deux romans tota­le­ment dif­fé­rents. Si la trame de La Reine des connes est somme toute clas­sique, Pizza sous la touffe est un roman éhon­té­ment déjanté !


Laurent Mar­tin, La Reine des connes  

La pre­mière fois que j’avais voulu mou­rir, j’avais 7 ans. C’était pour suivre dans la tombe Wla­di­mir, mon lapin nain, qui avait mis fin à ses jours en ron­geant la prise élec­trique de la lampe halo­gène du salon. Tout ce que j’ai réussi à faire, c’est court-circuiter l’appartement, prendre une gifle par ma mère, détes­ter le monde des élec­tri­ciens.
La belle Anna­belle voue toutes ses éco­no­mies à la trans­for­ma­tion de son corps. Elle se nour­rit aux hor­mones et rêve de par­tir à Bang­kok pour que son pénis devienne un vagin. Elle doit pour cela réunir 20 000 €. Elle en a péni­ble­ment épar­gné la moi­tié. Elle crèche à l’hôtel après s’être enfuie de chez ses parents, bour­geois fri­qués du VIe. Aussi, quand un petit tra­fi­quant lui pro­pose d’acheter des faux billets et de se faire une santé finan­cière en les reven­dant, elle n’hésite pas une seconde. Pour réunir la somme néces­saire à l’achat de ces faux billets, elle fait le tour de ses connais­sances qui surfent sur les crêtes de la léga­lité. Un amour d’un soir, petit entre­pre­neur, lui per­met de fina­li­ser son bud­get. À par­tir de là, tout va déra­per. Anna­belle ne sent pas venir les embrouilles et accepte de ser­vir de mule. Un moment d’inattention, et les billets dis­pa­raissent. Telle une malé­dic­tion, tout le monde vient frap­per à sa porte pour récu­pé­rer son argent. Anna­belle finit par se poser les bonnes ques­tions et sor­tir un flingue. Pour se tirer d’un mau­vais pas, rien ne vaut de tirer ni à tort, ni à travers !

La Reine des connes est un roman à la trame simple et donc clas­sique. Il nous per­met de voya­ger dans Paris et ses embrouilles, Paris et sa débrouille. Laurent Mar­tin se pare d’un style propre, sans trop de fio­ri­tures. Un peu dom­mage, d’autant que le début lais­sait sup­po­ser tout autre chose, avec une nar­ra­trice qui explique pour­quoi elle a voulu se sui­ci­der à 7 ans. Puis ce sont quelques belles envo­lées qui par­sèment un texte hom­mage aux grandes trom­pe­ries que l’on trou­vait dans les romans du genre des années 60.


Fran­cis Mizio, Pizza sur la touffe 

SCÈNE 36 — Inté­rieur nuit chez Car­lotta — Le livreur de Spee­dos Pizza / Car­lotta
Le décor est dépouillé. Une table, une chaise, une nappe et un bou­quet de fleurs (pour faire inté­rieur bour­geois). Car­lotta, nue, est assise sur le bord de la table. Elle tient le car­ton à pizza d’une main et s’appuie sur le bord de l’autre. Ses jambes sont écar­tées, mais on ne dis­tingue pas son sexe car une large part tri­an­gu­laire de pizza est posée sur son pubis. Sur son ventre est ins­crit au stylo-feutre : “Napo­li­taine.“
Devant elle, le livreur est sidéré. Au cours de la scène, tout en décla­mant son texte, il va tom­ber à genoux. La pizza est évi­dem­ment une napo­li­taine king size.

Bernard Ozimi est un réa­li­sa­teur membre d’une école bien bizarre. Adepte de l’EXMEL, l’EXplosé MELangé, une tech­nique qui consiste à fil­mer selon l’ordre de sa pen­sée et non pas chro­no­lo­gique, ce qui éli­mine les pro­blèmes de mon­tage, il s’est spé­cia­lisé dans le mélange de légumes et de por­no­gra­phie. À plus de 70 ans, il réa­lise son ultime film, Pizza sur la touffe. Mais pour concré­ti­ser ce der­nier rêve, il a besoin d’un mécène. Ladis­las Krabko est un jar­di­nier qui vient de gagner au Loto et qui ne sait pas quoi faire de tout cet argent. Les deux hommes sont faits pour s’entendre : ils tra­vaillent tous les deux dans les légumes. Mais c’est aussi dans les légumes que l’on retrouve le corps de Charles-Louis de Tel­mar, un para­site de la pire espèce. L’homme passe son temps à inten­ter des pro­cès inima­gi­nables. Sa der­nière créa­tion, une asso­cia­tion de pro­tec­tion des légumes, lui sert de base à un futur et reten­tis­sant pro­cès : celui qu’il compte faire à Ozimi. Car qui sait ce que res­sent un concombre dont on s’est servi pour une mas­tur­ba­tion ? Ozimi est cou­pable. Une course contre la montre est alors lan­cée, car il sou­haite d’abord finir son film avant d’être arrêté.

Fran­cis Mizio réa­lise ici un des meilleurs romans de la col­lec­tion. Ce livre, au titre qui n’est pas sans rap­pe­ler Raz­zia sur la chnouf, est construit exac­te­ment selon la méthode EXMEL. Cha­cun des pro­ta­go­nistes est à tour de rôle le per­son­nage prin­ci­pal d’un court récit qui a bien du mal à suivre la chro­no­lo­gie des évé­ne­ments. Les situa­tions les plus incon­grues se suivent les unes les autres. Fran­cis Mizio nous offre une tru­cu­lence triple, tant au niveau du style, que de l’humour et des situa­tions. Un véri­table plaisir !

julien vedrenne

   
 

-  Laurent Mar­tin, La Reine des connes, Édi­tions La Branche coll. “Suite noire” (n° 15), avril 2007, 96 p. — 10,00 €.
-  Fran­cis Mizio, Pizza sur la touffe, Édi­tions La Branche coll. “Suite noire” (n° 16), avril 2007, 96 p. — 10,00 €.

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Filed under Non classé, Pôle noir / Thriller

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