Samuel Beckett, Film

Epui­se­ments sans fin

Dans Film — et c’est un des carac­tères expé­ri­men­taux de cette oeuvre unique (à tous les sens) de Beckett, la caméra, l’objet créa­teur de la fic­tion, ne reste plus imper­cep­tible : elle fait par­tie de la fic­tion pour venir la trou­bler, la décen­trer par son explo­ra­tion.
Elle est comme exhi­bée, en son jeu à décou­vert avec le héros. Elle a même un nom “Oe” qui tente de cap­ter “O“‘ (écrit Beckett dans  le Pro­logue su scé­na­rio publié aux Edi­tions de Minuit en 1972). Mais  le fuyard sera bien­tôt ter­rassé par elle dans une chambre maternelle.

La caméra vou­drait se cen­trer sur l’être incarné par Kea­ton. Mais il ne veut pas demeu­rer dans son champ. Il en appelle — de manière à la fois muette et comique — à son exclu­sion. En ce sens, Film est bien dans son refus de la séduc­tion spé­cu­laire le désa­veu du film.
Là où le thème de la traque change de cap par rap­port aux films clas­siques du genre.

A mesure que l’oeuvre touche davan­tage le domaine de l’icône, elle s’éloigne de la repré­sen­ta­tion. Elle signe son extinc­tion sans le moindre appel à des méta­mor­phoses, mais au contraire à leur effon­dre­ment par la sup­pres­sion de la per­cep­tion. De celle-ci ne demeure que “l’insupprimable per­cep­tion de soi” dont Beckett parle dans son pro­logue en écho au “esse est per­cipi” de Ber­ke­ley (cité en exergue) afin de por­ter l’image vers la nuit de l’être.
L’Imaginaire, en incluant dans le jeu de la créa­tion les ins­tru­ments de sa consti­tu­tion, per­met de com­prendre le pro­ces­sus d’une oeuvre qui fuit les arti­fices de la consti­tu­tion d’un monde auto­nome et envi­sa­geable comme tel. Le jeu, entre “O” et “OE”, reste appa­rent pour mon­trer que rien ne se révèle

Il s’agit de don­ner moins à voir qu’à entre­voir en une nou­velle forme de pré­sent dubi­ta­tif par cet effet de raré­fac­tion pro­gres­sive de la durée vécue. “O”, après ses mou­ve­ments fré­né­tiques et méca­niques de la pre­mière par­tie, se para­lyse, peu à peu, isolé de tout, dans un silence qui “en dit long” et  en une durée qui semble infi­nie jusqu’au fondu au noir.
Il est vrai que nous sommes chez Beckett maître des épui­se­ments sans fin…

jean-paul gavard-perret

Samuel Beckett, Film, Edi­tions Car­lotta, DVD, 2019

Synop­sis
Film est un film expé­ri­men­tal écrit par Samuel Beckett et réa­lisé par Alan Schnei­der en 1965. Ce court-métrage muet d’une ving­taine de minutes montre le par­cours d’un homme, qui, sur son pas­sage ter­ri­fie tout le monde, hommes, femmes, ani­maux, etc

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Filed under Chapeau bas, cinéma, DVD / Cinéma

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