Revendiquer l’inutilité de l’art et de la littérature
Lors d’un questionnaire proposé par Char dans la revue Empédocle en 1950, « Y a-t-il des incompatibilités ? » , celui-ci précise que “certaines activités contradictoires, peuvent être réunies par le même individu sans nuire à la collectivité humaines. C’est possible mais ce n’est pas sûr. La politique, l’économie, le social et quelle morale ? ».
Bataille répond par une longue lettre. Elle met en exergue les questions : pour qui écrit-on ? Au nom de quelle idéologie ? Sa réponse est aussi claire que lucide.
Elle parut à l’origine dans la revue “Botteghe Oscure”. Et Bataille argumente en mettant délibérément l’accent sur le contexte précis et urgent de la situation équivoque de l’époque : « On ne saisit pas encore clairement que, dans les temps présents, c’est — bien qu’en apparence il ait fait long feu -, le débat sur la littérature et l’engagement qui est décisif ».
Et il n’hésite pas à revendiquer l’inutilité de l’art et de la littérature au moment où la question de l’engagement était considéré comme essentielle.
Il dénonce l’asservissement de la poésie à des causes politiques, en rappelant que l’art “hérite aujourd’hui, sous nos yeux, le rôle et le caractère délirants des religions». Peu à peu, dans cette longue missive Bataille se rapproche implicitement de Char. Chez l’un comme chez l’autre, il est plus que souhaitable que la connaissance doive finalement se résoudre dans la simplicité de l’émotion.
Son savoir — ou non-savoir — et son “innocence” doivent faire abstraction de l’idéologie.
jean-paul gavard-perret
Georges Bataille, Lettre à René Char sur les incompatibilités de l’écrivain, Dessins de Pierre Alechinsky, Editions Fata Morgana, Fontfroide le Haut, réédition 2019, 48 p.