Ah, trahison, quand tu nous tiens !
Ce nouveau roman fait suite à L’Espion des Tuileries (City – 2018) où Victor Dauterive avait été chargé d’escorter la paye de l’armée, une fortune de 500 000 livres. Il est accompagné de Joseph ‚son petit serviteur. Le convoi est attaqué, l’argent dérobé. Victor et Joseph poursuivent les voleurs et découvrent que leur chef n’est autre que Dossonville, un proche de… Danton ! Ils sont enlevés. Si Victor peut s’en sortir avec le nez cassé, Joseph a le bras brisé et disparaît. Victor met presque deux semaines à retrouver la trace de celui qu’il considère comme son fils adoptif. Après avoir été placé à la prison de La Force, il a été envoyé à Bicêtre.
Victor est à Bicêtre en compagnie de l’économe, le chef de cet énorme établissement, qui lui apprend que le jeune garçon est mort de fièvre et de fatigue. Son corps a été jeté dans la fosse commune car il ne faut pas attendre avec cette chaleur du mois de juillet 1792 Victor décide de tuer Dossonville. Ce sont des hommes de Charpier, le député, qui l’empêchent de mener à bien sa vengeance et qui le forcent à monter dans un fiacre où se trouve leur patron. Celui-ci voulait interroger le voleur. Mais, maintenant, il propose une vengeance à Victor. Il l’emmène aux bains publics où Bachelu, son inspecteur chargé d’enquêter sur les faux-assignats dont s’occupe Dossonville, a été retrouvé mort dans une baignoire, les veines tranchées, aux poignets et aux pieds. Charpier est persuadé qu’on l’a assassiné. Il charge Victor et Lacour de l’enquête criminelle.
Olympe de Gouges, émue par la détresse de Victor face à la mort de Joseph, décide de rechercher le corps du jeune garçon. À Bicêtre, elle interroge une femme qui avait été mêlé au scandale de 1750 et qui a toujours un rôle de direction. C’est en partant qu’un garçon, avant d’être emmené de force, lui crie : “Le boiteux est pas mort ! Il est chez les fous !”
Sur les pas de Victor Dauterive, ce jeune aristocrate passé à la Révolution grâce au marquis de La Fayette, Jean-Christophe Portes fait découvrir les lieux insolites et sinistres du Paris de 1792, de sa banlieue, les personnages et les petits et grands événements. Après les bains publics Poitevin, sur une énorme péniche amarrée au bord de la Seine, ouverts nuit et jour, il donne une visite terrible de Bicêtre, cet immense ensemble qui dépend de l’Hôpital général. C’est ici que la société plaçait : “…mendiants par milliers, vieillards indigents, paralytiques, insensés, voleurs et assassins, pédérastes, prostituées, vérolés, cancéreux, orphelins de tous âges, estropiés.“
Il raconte le scandale de 1750 quand des centaines d’enfants mineurs avaient disparus, les parents furieux, les émeutes dans Paris, un inspecteur de police tué par la foule, son cadavre crucifié sur la porte d’un commissaire. Outre les lieux, il intéresse ses lecteurs aux personnages et aux événements, mettant en scène non pas les « grands » révolutionnaires, ceux qui sont entrés dans les manuels scolaires, mais leurs proches, ceux qui grenouillent dans leur entourage. Il dévoile les véritables personnalités de ces héros portés au pinacle, révélant que ce n’étaient, pour l’essentiel que des aventuriers avides de pouvoir, de richesses, d’avantages. S’ils parlaient de justice, de liberté, ces notions servaient de paravents pour masquer les trafics où ils trempaient. Danton, pour ne parler que de lui, s’est considérablement enrichi, en peu de temps.
Ce cadre planté, il déroule une fort belle intrigue autour de l’enquête bien dangereuse que mène Victor avec la participation d’Olympe de Gouges et sa quête pour retrouver Joseph. Il évoque les relations toutes en retenue entre elle est Victor, le désir qui les anime et les freins qu’ils se donnent. Il intègre un complot financier axé sur les assignats, décrit la prostitution enfantine. Il met en scène l’écrivain, imprimeur, espion, policier Restif de La Bretonne, un personnage particulièrement singulier qui connaissait bien les bordels d’enfants.
Dans cette cinquième enquête de Victor Dauterive, le romancier met l’accent sur les trahisons, les complots, les trafics. Avec sa série, il écrit une Histoire plus réelle, plus vraie, plus humaine au sens où les protagonistes, authentiques ou de fiction, ne sont pas des superhéros mais des individus avec leurs qualités, leurs défauts. Dans cette pléthorique galerie de personnages, tous décrits avec précision, quelques-uns croyaient vraiment œuvrer pour le bien des hommes alors que d’autres, les plus nombreux, trouvaient l’occasion, l’opportunité pour mieux vivre de se prêter à toutes les compromissions.
Richement documentée, regorgeant de détails et anecdotes de toutes natures, Jean-Christophe Portes écrit une nouvelle Histoire des Français sous la Révolution, une véritable fresque romanesque et historique vue par le petit bout de la lorgnette.
serge perraud
Jean-Christophe Portes, La Trahison des Jacobins, City Éditions, coll. “Romans”, octobre 2019, 448 p. - 19, 50 €.