Après l’effondrement des sociétés occidentales…
Merwan invente un monde post-apocalyptique où les humains qui ont survécu à la catastrophe nucléaire ont recréé des territoires autonomes. Sur chacun, ils ont reconstruit des liens sociaux, des règles de vie en communauté. Cependant, les hommes n’ont pas perdu pour autant le goût de la possession et de la domination. Il imagine une forêt de Fontainebleau isolée par des inondations gigantesques et une population qui survit grâce à la culture du riz, seule céréale pouvant pousser sur des terres inondées.
Bien sûr, chaque communauté a réinventé des dieux et une religion mais… sans religieux. Fortuna renouvelle, avec Mécanique céleste, une sorte de jugement de dieu, cette pratique barbare déjà en vigueur chez les pharaons et qui a eu cours en Europe au Moyen Âge. Il s’agit de mettre en œuvre un rite qui relie le peuple au cosmos.
Un homme échappe à ses poursuivants, des pirates qui voulaient lui faire payer un octroi. Dans la forêt de Fontainebleau, ce 7 février 2068, il fait 29° à 10heures30 et le taux d’humidité est de 100%.
Aster se réveille dans une cabane perchée sur un arbre et rejoint Wallis plongé dans un livre. S’il a droit à une ration de riz, elle n’a droit à rien car elle est Extra-Pan. Elle survit en récupérant des objets qu’elle revend contre des Watts à la recyclerie. Alors que de nouvelles élections se déroulent pour désigner les responsables du petit pays, arrive un ambassadeur de la république de Fortuna. Il agit dans la cadre de la campagne Refondation qui veut réunir tous les territoires isolés. La république apporte une protection contre 25% de la production rizicole. Ils ont dix minutes pour accepter avant d’entamer une dialogue armé… et constructif.
Surgit un individu qui clame qu’il ne faut pas accepter cette proposition impérialiste et faire appel à l’arbitrage par la Mécanique céleste. Désemparés, ne comprenant rien à ce qui arrive, les responsables acceptent sans savoir en quoi consiste cet arbitrage. Juba, celui qui était poursuivi, arrive à point nommé. Il sait ce qu’est la Mécanique Céleste.
Merwan remet à l’honneur le jeu du Ballon prisonnier à qui il donne une dimension cosmique avec des représentations symboliques pour les joueurs et les balles, dénommées orbes. Mais si ce jeu est innocent dans les cours d’école où il se pratiquait, l’auteur lui donne une nouvelle forme plus néfaste et surtout plus dévastatrice quant à sa conclusion. Et le scénariste ne manque pas d’imagination pour rendre ce jeu dangereux, voire mortel.
Cependant, il sème son récit de pointes d’humour fort bien venues, humour dans les réflexions, dans les situations, avec l’adaptation, à son univers, des jeux de Bourse, des anciennes techniques et opérations boursières. Le couple de commentateurs, puisque les affrontements sont filmés et retransmis, vaut son pesant de rires tant on retrouve les manières, les travers de quelques-uns qui sévissent sur les chaînes de télévision.
L’auteur offre un graphisme, à mi-chemin entre réalisme et caricature, synthétique, dynamique, avec une belle constance dans la représentation des personnages qui restent facilement identifiables. Les mimiques, les expressions sont réalistes même au plus fort de l’arbitrage. Les combats, au cours des engagements, sont rendus avec une belle résolution. Les couleurs sont superbes et recréent l’atmosphère de ces sociétés post-apocalyptiques.
Sans privilégier les personnages, Merwan donne des décors attractifs telles cette ville sous l’eau, la cité agricole de Pan ou les arènes de combat. Il livre les trois principes qui gouvernent la Mécanique céleste.
Un album qui fait la part belle à l’anticipation, passionnant à suivre avec ses rebondissements et ses planches particulièrement réussies.
serge perraud
Merwan (scénario, dessin et couleurs), Mécanique céleste, Dargaud, septembre 2019, 200 p. – 24, 99 €.