Mark Lilla, L’Esprit de réaction

Des pro­messes non tenues

L’ouvrage de Mark Lilla a l’ambition d’expliquer la figure du réac­tion­naire en com­men­tant une série de pen­seurs, de cou­rants intel­lec­tuels et d’événements ayant pour déno­mi­na­teur com­mun le pes­si­misme et un culte nos­tal­gique du passé. Au sens de l’auteur, les réac­tion­naires se dis­tinguent des conser­va­teurs du fait d’être, “à leur façon, aussi radi­caux que les révo­lu­tion­naires, et aussi enivrés par les mythes his­to­riques“ (p. 21).
Si cette idée est accep­table en elle-même, la façon dont Lilla l’illustre par des exemples concrets déçoit vite notre attente, étant donné l’hétéroclite des pen­seurs évo­qués et l’impossibilité de nous per­sua­der qu’ils sont tous à ran­ger dans le même tiroir.

Ainsi, on a du mal à voir en quoi Leo Strauss et les néo­con­ser­va­teurs amé­ri­cains qu’il a ins­pi­rés, Alain Badiou, ardent défen­seur de Mao, Eric Zem­mour, Michel Houel­le­becq et les isla­mistes radi­caux incar­ne­raient les diverses facettes d’une seule et même pen­sée. Pour nous en convaincre, l’auteur se contente – en pas­sant, comme si de rien n’était, sur l’incompatibilité des idées qu’il résume – de nous répé­ter que ces intel­lec­tuels ont tous en com­mun le regret d’un passé idéa­lisé.
À ce compte, pour­quoi ne pas assi­mi­ler Han­nah Arendt (La Crise de la culture) aux idéo­logues nazis nos­tal­giques du paga­nisme ger­ma­nique ? Et par ailleurs, pour­quoi devrait-on tenir, en l’absence de recul his­to­rique, l’époque actuelle ou n’importe quel pré­sent pour objec­ti­ve­ment pré­fé­rable à quelque “âge d’or“ révolu?

À adop­ter la logique de Marc Lilla, selon laquelle la nos­tal­gie serait un péché intel­lec­tuel, il convien­drait aussi de clas­ser dans les réac­tion­naires les oppo­sants aux régimes tota­li­taires, qui pré­fé­raient réso­lu­ment, en leur temps, la période d’avant Hit­ler, Sta­line, Mao et consorts.
En somme, si l’ouvrage contient quelques cha­pitres ins­truc­tifs (ceux consa­crés à Franz Rosenz­weig, Eric Voe­ge­lin et Leo Strauss), il ne nous apprend rien de valable quant à “l’esprit de réac­tion“, nous lais­sant sur l’impression que l’auteur a réuni, de façon arti­fi­cielle et bâclée, des textes qui auraient gagné à être appro­fon­dis et publiés séparément.

agathe de lastyns

Mark Lilla, L’Esprit de réac­tion, tra­duit de l’anglais (Etats-Unis) par Hubert Dar­bon, Des­clée de Brou­wer, sep­tembre 2019, 212 p. – 16,90 €

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