Après Lucy, nonnette à Lirey au XIVe siècle, Lucia, fille d’un baron monarchiste de Turin au XIXe siècle, le troisième volet de la trilogie suit les pas de Lucy, cinéaste au Texas, au XXIe siècle.
Avec cette série, Gérard Mordillat et Jérôme Prieur signent leur premier scénario de BD. Cependant, ils ont déjà bien exploré les fondements du christianisme avec des essais et surtout avec des documentaires tels que , documentaires récompensés par de nombreux prix.
Lucy Bernheim, qui veut réaliser un film sur Le Suaire pour contrer l’intégrisme catholique des USA, a pris rendez-vous avec le prêtre de Lirey pour découvrir les travaux que celui-ci a menés sur le Linceul. Il démontre, avec des arguments scientifiques à l’appui, que ce linge ne peut avoir touché le corps de Jésus-Christ.
Lucy tourne son film avec Henry. Celui-ci jouait un spectacle d’Antonin Artaud sur L’histoire vraie de Jésus-Christ, dans un petit théâtre. Quand ils se rencontrent, ils se reconnaissent comme venant du passé, et c’est le coup de foudre réciproque. Si Lucy s’investit dans son film, Henri se donne complètement dans son rôle, hanté par le personnage au point de vouloir aller au bout. Mais Lucy a vécu des moments terribles avec son professeur de théologie. Elle était sa meilleure élève et c’est naturellement qu’il l’invite, lors du voyage d’études à Turin, à voir le Suaire après la fermeture du site. Il la viole dans la crypte. Depuis, il grenouille dans les réseaux d’extrême-droite.
C’est à l’avant-première que les événements vont se précipiter dramatiquement…
Avec la présente série, les scénaristes abordent un questionnement sur ce Suaire exposé à Turin depuis 1578 et cherchent à en donner la genèse d’un point de vue scientifique. Si, dans les volumes précédents de la série, ils s’attachaient à suivre la naissance puis la renaissance du Suaire, dans ce tome, ils relèvent les impossibilités de ce “miracle” et donnent une image effrayante du fanatisme religieux qui sévit aux États-Unis.
Ils intègrent, bien évidemment, des éléments de fiction pour structurer leur récit, donner des développements dramatiques, tout en exposant ces croyances, cet aveuglement allant jusqu’à réfuter des preuves indéniables, refuser de reconnaître qu’il s’agit d’une énorme manipulation.
Fortement documenté, ce scénario prend en compte les contextes des différentes époques, éclaire de façon impartiale les différents aspects de cette relique en en donnant une vision réaliste. Le dessin en noir et blanc d’Éric Liberge fait merveille pour mettre en images ce scénario dont certaines évocations relèvent de l’imagination, du regard extatique. S’il donne aux personnages une expressivité appropriée, il livre des décors travaillés et des pleines pages fourmillantes de détails.
Corpus Christi, 2019, ce troisième tome, clôt en apothéose une série remarquable à tous points de vue.
serge perraud
Gérard Mordillat & Jérôme Prieur (scénario), Éric Liberge (dessin), Le Suaire — t.03 : Corpus Christi, 2019, Futuropolis, septembre 2019, 72 p. – 17,00 €.