Les éditions Corti proposent 21 poèmes inédits de George Oppen . Ils datent des années 20, période fondatrice de l’oeuvre. Publiés par “New Directions” en 2017, dans la collection de « Poetry Pamphlets », ils sont édités dans une superbe traduction d’Yves di Manno et complétés par les 26 fragments posthumes, regroupant les notes qu’Oppen avait épinglées dans sa chambre, à la fin de son existence, et que Mary, son épouse, a recueillies après sa mort.
Ce double ensemble permet de préciser la musique de l’œuvre. Elle mêle divers registres de langue et de rythme. Oppen sait oser lorsqu’il le faut “la tornade injure” pour conserver une certaine barbarie aux mots et leurs annonces. Elle ouvre à la lumière parfois de l’exil, parfois de l’étrange.
Les textes avancent, en rejetant les structures admises, pour atteindre des “misérables miracles” chers à Michaux mais aussi pour faire éclater le temps et ses affres. Entre la prière qui rapproche de la superstition et sa croyance aux graines du réel, le poète avance entre désespoir et découragement pour toiser de son “oeil métallique” ceux qui ignorent le peuple du haut de leur prébendes.
Le poème semble jaillir viscéralement à travers les paysages du monde. Le langage s’ose sucre de canne, parfois même dans une rhétorique acharnée. Elle joue de l’épaisseur comme de la finesse.
L’œuvre devient le recours contre un abaissement, une chute, une ruine. Néanmoins, Oppen refuse la propension à croire coller par les mots le propos au réel. Il s’agit plutôt de l’en arracher, mais non par un appareillage de références dans un montage du mouvement. Une telle narration poétique morcelée suit «à la lettre» les signes qui tombent du temps et de la voix. Cette dernière serre de plus près les réels détours de la réalité. Ou des réalités — pour être plus juste.
Elles indiquent des irrationnels qui accompagnent l’être humain à tout instant.
Et c’est ainsi que change la mémoire officielle du temps comme de la poétique officielle.
jean-paul gavard-perret
Georges Oppen, Poèmes retrouvés, traduction Yves di Manno, Editions José Corti, 2019, 160 p. — 18,00 €.