Trois livres des éditions Rivages, aux styles éloignés mais qui font la cohésion de la plus belle collection actuelle de livres noirs.
Voici un petit florilège très diversifié des dernières parutions des éditions Rivages. Dans Night Train (RN n° 630), Nick Tosches nous fait redécouvrir le parcours d’un champion de boxe hors norme, Sonny Liston, qui restera à jamais le bad guy des rings. Donald Westlake, avec Pierre qui roule (RN n° 628), narre les premières aventures de son héros à la scoumoune, Dortmunder. Et Claude Amoz nous délecte, dans Racines amères (RN n° 629), de onze nouvelles noires qui toutes reposent sur la recherche de paternité de ses personnages.
Pour une maigre pièce de cinq cents volée pendant son adolescence, Charles “Sonny” Liston se retrouvera sur la mauvaise pente. L’Amérique qui est prête à créer et à aduler des héros ne pardonne pas les erreurs. Malgré tout son talent, ce boxeur noir, descendant d’esclaves et qui porte encore le nom de leurs anciens maîtres, restera à jamais du mauvais côté de la barrière. Et ce, malgré un titre de champion du monde, glané à base de KO retentissants, en 1962. Le pauvre Patterson, des années plus tard, en tremblait encore. Le problème, dans la boxe, c’est qu’il est facile de tricher. Les combats truqués, ceux où l’on propose un boxeur invaincu mais face à de pâles combattants et qui vient s’offrir en pâture alors que sa cote est supérieure à celle de son adversaire, foisonnent. Dès qu’un boxeur a le moindre talent, un promoteur avisé se présente. Et malheur aux autres. Le punch légendaire de Liston le pousse dans les mailles du filet de la pègre. Et les flics ne l’aiment pas, eux qui le verbalisent dès qu’ils le peuvent. Sonny a une grande gueule. C’est le méchant. Mais un méchant bien différent de ceux qu’on rencontre à Hollywood. Ce méchant, à la fin de l’histoire, il gagne. Pourtant, le public, mais aussi Liston, verront apparaître le héros noir que toute l’Amérique attend. Qui le détrônera à la surprise plus que générale. Cassius Clay. Après, celui qui admirera toute sa vie le seul boxeur digne de ce nom, Joe Louis, entamera une longue déchéance qui le conduira à une mort autant soudaine qu’inexpliquée. De celle qui fait les légendes et dont l’Amérique raffole. N’est-ce pas Marylin ?
Après Dean Martin dans Dino, Nick Tosches s’attaque à une icône trouble de l’Amérique. Ce roman, qui est davantage un docu-fiction, de trois cents pages haletantes, nous emmène à la fois sous les feux de la rampe, et dans les coulisses d’un sport noble mais dans les mains de ces gangsters juifs que l’on retrouve également dans le livre merveilleusement bien documenté de Rich Cohen, Yiddish Connection — Histoires vraies des gangsters juifs américains (éditions Denoël). À mesure que Sonny Liston se prend des coups sans broncher, et avance inlassablement, le lecteur encaisse uppercut sur uppercut. Nick Tosches progresse dans son enquête telle une machine à tuer, quitte à nous rendre sympathique ou touchant — mais absolument pas pathétique — un homme que la vie n’a pas épargné et qui ne l’a pas épargné en retour. Car c’est la destinée des grands boxeurs : rendre coup sur coup.
Dortmunder sort de prison avec la bénédiction du directeur, les mains gluantes d’avoir tripotté un mouchoir plein de morve et trois cents dollars en moins car il n’a pas pu récupérer l’argent de la “vente” de sa cellule qui comporte un souterrain vers la pharmacie. Dortmunder est un fataliste. Quand il ne sent pas un coup, il sait que les événements vont se déchaîner contre lui. Surtout quand c’est son complice préféré qui le lui amène, Andy Kelp. Le casse est tout sauf ordinaire et vise à récupérer, pour le compte d’un obscur pays africain, une émeraude. Si, au début, Dortmunder, qui a réuni son équipe-type, fait preuve d’ingéniosité, tout part de traviole à partir du moment où un des gusses est arrêté. Car le manque de pot qui lui colle aux fesses fait qu’il s’agit de celui qui a embarqué l’émeraude. Et que pour ne pas être pris la main dans le sac, celui-ci à la grandiose idée d’avaler la pierre avant d’être embarqué par une horde furieuse de policiers. Pour récupérer l’émeraude, il va maintenant falloir entrer dans un commissariat. Et Dortmunder ne le sent pas.
Revoilà traduit le premier épisode des aventures de Dortmunder. Pierre qui roule date, en effet, de 1970. On y découvre tout ce qui a fait le succès des “Dortmunder” : un mélange d’invention et de drôlerie que l’on retrouve dans chaque roman. Et quand on est accro, on ne se lasse pas des ficelles de Donald Westlake. On s’engouffre en compagnie de Dortmunder dans le O. J. Bar & Grill de Rollo, le seul gars capable de se rappeler la boisson de chacun à des années d’intervalle, et qui appelle chacun par ce qu’il a l’habitude de boire. D’autres aventures, toujours jouissivement surprenantes, du cambrioleur aussi génial que malchanceux ont déjà été chroniquées…
Claude Amoz et son éditeur ont récolté onze nouvelles qui émeuvent et touchent par cette volonté de l’auteur de rattacher ses personnages à leurs racines. La quête de l’identité est au cœur de ce recueil. Dans “Les Jumelles”, Lisa et Lina sont en butte avec leurs parents. Nées à un an d’intervalle, elles sont habillées pareillement, on les fête au même moment, et leurs prénoms sont proches. Sauf que les grands-parents, en Algérie, n’en veulent qu’une pour les vacances. Et que l’élue ne le veut pas et pique sa crise. Qu’importe, l’autre ira. Le problème, c’est, par la suite, l’attentat dont est victime l’avion. Attentat qui aboutit à une culpabilité qui prendra le pas à jamais sur une petite fille vieillie trop tôt et qui voudrait s’enterrer sur la plage où jouent deux autres petites filles qui auraient pu être des jumelles… Cette fatalité, on la retrouve également dans “Sens interdit”. L’absence regrettée du père se retrouve dans une scabreuse histoire où une mère a voulu faire de son mari le héros qu’il n’était pas (et encore !) : “Tête haute” ou encore, toujours avec la guerre en toile de fond, dans “La Réfugiée”.
Martine Laval et Pierre Abescat ont écrit un jour, au sujet de Claude Amoz, qu’elle nous plongeait dans les abysses des mémoires douloureuses. Le propos est d’une justesse mesurée. Dans chaque famille ordinaire on peut, au moins, trouver un drame extraordinaire de la vie. Et Claude Amoz plonge son scalpel dans cette moelle substantielle qui fait l’essence même de ses récits. Ces nouvelles peuvent évidemment se lire de façon espacée. D’ailleurs, pour nombre d’entre elles, elles ont été publiées dans des revues ou fanzines auparavant. Mais la force même de leur cohésion surprend dans le bon sens du terme. Alors que Claude Amoz décortique le passé et surtout l’absence de passé, on lit et relit ces nouvelles inlassablement.
julien védrenne
Nick Tosches, Night Train (traduit de l’américain par Julian Dorner), Rivages coll. “noir”, janvier 2007, 310 p. — 8,50 €. |