King Kong (Merian C. Cooper & Ernest B. Schoedsack, 1933)

King Kong est un « roi nu » qui vaut sur­tout pour ce qu’il nous apprend sur la trame du désir

L’his­toire du mythique gorille amé­ri­cain est plus que connue : elle est un topos fon­da­men­tal de la conscience ciné­ma­to­gra­phique mon­diale. On peut la résu­mer en trois temps :
1– Alors qu’une grave crise éco­no­mique déchire l’Amérique, Carl Den­ham un réa­li­sa­teur de docu­men­taires ani­ma­liers fait route vers l’ouest de Suma­tra où un singe colos­sal, nommé King, est vénéré par les habi­tants de Skull Island (l’île du crâne). Une jeune femme blonde accom­pagne l’équipe hol­ly­woo­dienne afin d’appâter la Bête en jouant le rôle de la belle.
2– Le stra­ta­gème fonc­tionne à mer­veille, le singe en ado­ra­tion devant l’actrice étant cap­turé alors qu’il s’approche d’Ann Dar­row offerte en sacri­fice par les indi­gènes.
3– Exhibé à New York comme une bête de crique (« la hui­tième mer­veille du monde »), Kong se libère de ses chaînes alors que les flashes des pho­to­graphes le mitraillant aux côtés d’Ann lui font croire qu’elle est en dan­ger. Il grimpe au som­met de l’Empire State Buil­ding (à l’époque le plus haut gratte-ciel du monde, le sym­bole des Etats-Unis) avec la Belle avant d’être abattu par des avions de chasse.

Le film mar­quera nombre de spec­ta­teurs à la fois par son esthé­tisme (magni­fique noir et blanc des images qu’on croi­rait tirées des gra­vures d’un Gus­tave Doré), son oni­risme (ren­forcé par les tru­cages du réa­li­sa­teur) et son éro­tisme. C’est la pre­mière fois, dans les années 30 rava­gées par la réces­sion éco­no­mique, qu’un mythe fan­tas­tique est issu non de la lit­té­ra­ture (qui a déjà pro­duit deux beaux exemples de créa­tures en marge de l’institution socio-humaine : Dra­cula et Fran­ken­stein) mais du cinéma lui-même. (Pour en savoir davan­tage sur le King Kong de 1933, consul­ter King Kong Story, Paris, édi­tions René Cha­teau, 1976).

L’intérêt phi­lo­so­phique du film
Si l’histoire d’amour ainsi que l’incompatibilité entre un mode de vie natu­rel et le tumulte létal de la vie sociale sont les pre­mières clefs patentes de l’analyse du film de Cooper et Schoed­sack, l’intérêt phi­lo­so­phique qui se dégage de ce chef d’oeuvre dépasse de loin la dia­lec­tique som­maire de « la Belle et la Bête ». Sans aller jusqu’à voir dans la séquence finale de l’ascension du plus haut gratte-ciel new-yorkais (Comme dans son repaire dans la mon­tagne, le monstre ne se sent en sécu­rité qu’au som­met le plus haut du pay­sage envi­ron­nant. Pari à la res­cousse d’Ann, Dris­coll constate : Il est sur un roc d’où toute une armée ne le délo­ge­rait pas ». Mais les avions de l’industrie humaine sont autre­ment dan­ge­reux que les Pté­ro­dac­tyles…) un défi lancé à la face du capi­ta­lisme géné­rant en effet à l’époque, selon la for­mule mar­xiste, ses propres « fos­soyeurs », sans se conten­ter de poin­ter là sim­ple­ment l’histoire d’un impos­sible amour — un gorille indo­né­sien et une star amé­ri­caine, tout de même… -, King Kong est un « roi nu » qui vaut sur­tout pour ce qu’il nous apprend sur la trame du désir.

Un désir d’autant plus violent et indomp­table qu’il n’émane pas d’une culture « civi­li­sée » du début du XXe siècle mais pro­vient d’une civi­li­sa­tion pri­mi­tive à jamais éloi­gnée de nous. Dans le pas­sage de l’une à l’autre se joue la méta­mor­phose d’un Kong devenu King pour peu de temps, dieu sur Terre trans­formé par la bêtise humaine en un monstre ter­ri­fiant et des­truc­teur dans les airs. Le prix à payer peut-être (car tout s’achète dans cette société-là) pour qui veut se perdre dans le jouis­sif sep­tième ciel ? Rap­pe­lons qu’à l’origine du drame, pen­dant du désir du cinéaste : rame­ner aux amé­ri­cains un film-force sur le dieu-roi Kong, Ann est kid­nap­pée au cours d’une nuit sur le bateau par les membres de la tribu afin d’ être sacri­fié sacri­fiée au gorille géant. Qui eût pu pré­voir alors que le qua­dru­mane tom­be­rait illico presto amou­reux de la belle bonde ? Pre­mière réac­tion éton­nante : non seule­ment l’animal ne consomme pas sur place comme il en a l’habitude sa proie sacri­fi­cielle, mais il l’emporte avec lui au coeur de la jungle, tout en la pro­té­geant de dino­saures à l’appétit osten­sible. Seconde réac­tion éton­nante : au lieu de se réjouir de l’attention atten­dris­sante du monstre envers leur com­pagne, qu’il entend visi­ble­ment secou­rir, les hommes du bateau se pré­ci­pitent sur ses traces pour le traquer.

Le quartier-maître Jack Dris­coll sau­vant la Belle, le réa­li­sa­teur décide d’exploiter l’amour que voue le gorille à Ann : l’usage des bombes à gaz suf­fo­quant suf­fira à endor­mir sa car­casse comme la pré­sence de l’actrice, sa méfiance. Parce qu’elle aime la jeune femme au point de se refu­ser à la consom­mer, la créa­ture mourra loin de son île. Comme l’indique en une for­mule lapi­daire fleu­rant bon son pesant de colo­nia­lisme sur­anné le capi­taine Den­ham : « Il a tou­jours régné sur son monde, nous lui appren­drons la peur. » La peur (réflexe natu­rel ou résul­tat d’un appren­tis­sage ? telle est aussi la ques­tion que pose ce film), Kong l’apprendra en effet. En défi­ni­tive, moins parce qu’il aurait peur pour lui (l’instinct de conser­va­tion ne (se) réflé­chit pas) que parce qu’il a peur pour un être dont la cou­leur de la peau et des che­veux dif­fère des habi­tants habi­tuels de Skull Island. Non, le gorille géant n‘est pas un rustre, c’est un ani­mal curieux qui veut en savoir plus : il meurt pré­ci­sé­ment au nom de son atti­rance inédite pour une jeune femme naïve, aussi inno­cente– au sens propre — que lui somme toute.

En ce sens King Kong illustre à mer­veille la dimen­sion pla­to­nique de la rela­tion téra­to­phi­lique qui unit le monstre et l’être humain. Mais le roi de l’île du Crâne peut-il pré­tendre aimer la reine de New York ? le pas­sage d’une jungle infes­tée de sau­riens mena­çants à une jungle d’individus agres­sifs et hur­lant ne per­met pas de répondre à cette ques­tion. Déci­dé­ment, les com­mu­nau­tés en lice ne prisent guère l’intrusion d’éléments allo­gènes dans leur cercle : les bêtes sau­vages ne voient en Ann qu’un sand­wich ines­péré, les new-yorkais ne regardent le gorille que sous l’angle d’un diver­tis­se­ment spec­ta­cu­laire. Il fau­dra la magie du sep­tième art pour que, sys­tème de trans­pa­rences et de jux­ta­po­si­tion d‘images aidant, l’être humain et la créa­tures se ren­contrent enfin (Notons au pas­sage que Willis O’Brien invente avec ce film les effets spé­ciaux per­met­tant la mise en mou­ve­ment des créa­tures extra­or­di­naires qui peuplent l’univers de King Kong. Il fau­dra ensuite attendre l’arrivée de l’ordinateur et des images de syn­thèse pour riva­li­ser avec une telle ima­ge­rie, l’atmosphère oni­rique mal­heu­reu­se­ment en moins.)

Encore cette ren­contre tant atten­due n’intervient-elle en vérité qu’à l’occasion de la mort du gorille géant : tou­ché par les avions mitrailleurs, Kong chute mor­tel­le­ment sur le maca­dam de Lexing­ton Ave­nue ( Sombre alba­tros mas­to­donte, Kong est ainsi écrasé sym­bo­li­que­ment de la même manière qu’il a écrasé phy­si­que­ment deux indi­gènes dans la boue lorsqu’il fait irrup­tion dans le vil­lage pour récu­pé­rer Ann. Que le béton des villes rem­place la terre des cam­pagnes n’adoucit pas le tré­pas. CQFD) ; alors qu’il s’éteint, son corps passe pour la seule et der­nière fois au pre­mier plan, Ann pleu­rant … Empreint d’un racisme colo­nia­liste désuet(que Den­ham jus­ti­fie par l’aphorisme sui­vant, lancé devant le public new-yorkais réuni pour la pre­mière du spec­tacle : « Voir, c’est com­prendre ! ». Pour infor­ma­tion, Cooper a eu l’idée du film suite à sa ren­contre avec W.Douglas Bur­den qui rame­nait d’une expé­di­tion sur une île d’Extrême-Orient le plus grand rep­tile vivant jamais trouvé, le dra­gon Komodo (infor­ma­tions Bonus Mont­par­nasse vidéo) et d’une miso­gy­nie cri­tique, ce film ne sau­rait donc être réduit à la morale offi­cielle qu’énonce Den­ham in fine : “Ce ne sont pas les avions. C’est la Belle qui a tué la Bête.” (it wasn’t the air­planes. It was Beauty that killed the Beast !) ( Autre variante : « King Kong serait tou­jours en liberté s’il n’avait pas pour­suivi la Belle »).

Recon­nais­sons tou­te­fois que l’ingénue Fay Wray, actrice jouant l’actrice, a une influence déter­mi­nante sur le monstre — qui ne s’avère para­doxa­le­ment pas si mons­trueux que cela ! Que pen­ser en effet d’un gorille capable de sen­ti­ments et de res­pect tan­dis que sur­gissent dans son bio­tope des hommes dénués de tous sens moral ne son­geant qu’au pro­fit et au spec­tacle qu’ils reti­re­ront du singe pro­mené sur Broad­way ? Loin de se résu­mer à une créa­ture malé­fique détrui­sant tout sur son pas­sage (Den­ham le défi­nit au cours du voyage aller sur le bateau de la manière sui­vante : « ce n’est ni une bête ni un homme, mais une puis­sance ter­ri­fiante »), Kong, dès qu’il quitte son île, est déra­ciné, voué à la mort pro­chaine. Eton­nante leçon de tolé­rance quand on s’y arrête, King Kong nous apprend que chaque être qui pénètre un ordre envi­ron­ne­men­tal qui lui échappe est tou­jours indexé d’un coef­fi­cient para­si­taire élevé : sur ce plan-là tout du moins la dif­fé­rence entre le gorille et les hommes est insi­gni­fiante, n’en déplaise aux visions anthro­po­cen­tristes toutes cha­pelles confon­dues. De fait, le pas­sage dra­ma­tique de la scène sur l’Empire State Buil­ding nous montre (à noter que le pro­grès doit être vec­teur d’enseignement et don­ner des ailes puisque Kong esca­lade l’immeuble sur le champ, à peine libéré de ses chaînes, alors qui n’a jamais songé à s’agripper à la muraille de son île…), por­trait de ce dont nous pro­ve­nons, un ani­mal sau­vage abattu par la cupi­dité d’hommes civi­li­sés, per­plexe miroir que le cinéma tend aux temps modernes… C’est que la tran­si­tion entre l’état de nature et l’état civi­lisé, pour ne pas dire : l’Etat tout court, ne peut s’accomplir sans sacri­fices ni dégâts considérables.

La pre­mière porte ou le Désir cap­tif
Pre­mier film de l’histoire du cinéma à regor­ger d’effet spé­ciaux en tous genres, pre­mier film de « monstre », King Kong conti­nue d’influencer toutes les oeuvres aujourd’hui régies par l’animatronique et les images de syn­thèse. Ainsi dans Jur­ras­sic Park, la porte qui mène au parc ressemble-t-elle en tous point à celle des indi­gènes se décou­pant dans le mur encer­clant le vil­lage dans le film de 1933 : il est vrai qu’à chaque fois on trouve der­rière cha­cune de ces portes des créa­tures mythiques et oubliées… Point n’est besoin d’insister ici sur la méta­phore de la porte, fron­tière idéale entre le dedans et le dehors, entre moi et l’autre, entre le conscient et l’inconscient, mais on rap­pel­lera qu’en ce lieu où nichent nos phan­tasmes les plus exa­cer­bés comme les plus bes­tiaux (qui ne se sou­vient du fameux inter­dit freu­dien de Barbe-Bleue ?) s’origine la vio­lence qui, aujourd’hui encore, se dégage du film de Cooper et Schoed­sack. Il a fallu tout le ramol­lis­se­ment d’une cen­sure amé­ri­caine impi­toyable (l’ouverture de la porte, le lever de rideau de la cen­sure freu­dienne par l’entremise de rêve ?) pour que cha­cun puisse de nos jours contem­pler le gorille en train de dégus­ter les indi­vidu qui ont le mal­heur de croi­ser sa route, tel le dieu grec Cro­nos dévo­rant ses enfants.

Dès le débar­que­ment amé­ri­cain sur l’île indo­né­sienne, le temps de l’animalité est compté. Cette vio­lence, on l’a indi­qué plus haut, est en grande par­tie, pensons-nous, celle du désir. Les tra­vaux de Wil­hem Reich ont bien mon­tré, notam­ment dans Psy­cho­lo­gie de masse du fas­cisme (Petite Biblio­thèque Payot) com­ment l’énergie sexuelle est sus­cep­tible d’être cana­li­sée et déver­sée vers des moyens sub­sti­tu­tifs de satis­fac­tion ; mais c’est au psy­cha­na­lyste Manuel Per­iáñez (« Le rituel fra­cassé, ou le syn­drome King-Kong » in Le Coq-héron, n° 124, 1992) qu’on doit une ana­lyse des plus pré­cises sur cette ques­tion philosophico-cinématographique. Réflé­chis­sant au sta­tut de « l’insolite » lors de séances d’analyse qu’il mène depuis plus de vingt ans, Per­iáñez en vient à poser que sous l’insolite se cache une vérité fon­da­men­tale : « le déra­page [est] le vrai contenu, et l’apparente trans­gres­sion n’en [est] une que dans les formes ». Bri­sant la tech­nique habi­tuelle de l’analyse, le fait ou la parole inso­lite relèvent du trans­gres­sif en ce qu’ils imposent un désordre signi­fiant là où régnait aupa­ra­vant un ordre pro­cé­du­ral qu’on n’interrogeait plus. À l’instar, note le psy­cha­na­lyste, de la nou­velle de Kafka Devant la Loi, « où le pro­ta­go­niste n’ose fran­chir, sa vie durant, la porte inter­dite dont il apprend, à sa mort, qu’elle n’existait que jus­te­ment pour qu’il la franchisse ».

Dans cette conten­tion devant la figure pater­nelle de la loi, dans cet inex­pli­cable mixte d’attraction /répulsion qui n’est pas sans rap­pe­ler cer­tain com­man­de­ment divin repose, ava­tar du com­plexe de Barbe-Bleue, le « syn­drome de King-Kong » selon Per­iáñez. Tout tient à l’image de la porte, revenons-y. Kong s’entend bien avec les vil­la­geois car il a pour fonc­tion de chas­ser les (vrais) monstres, Tyran­no­saures et Pté­ro­dac­tyles, qui menacent leur habi­tat. En échange de son tra­vail de « net­toyage », le gorille per­çoit (logique d’une éco­no­mie du « pot­lach » non for­ma­lisé) son lot de sacri­fices humains — éro­ti­sés au pos­sible, satis­fac­tion et jouis­sance virile allant sans doute de pair dans l’esprit des indi­gènes… Voilà pour­quoi, alors même qu’ils ont dressé une palis­sade for­ti­fiée pour se pro­té­ger du gorille, paroi éri­gée depuis la nuit des temps der­rière, laquelle se trouve l’autel où sont expo­sées les vic­times, les vil­la­geois ont rien moins que construit au milieu de celle-ci une porte faci­li­tant l’accès à l’autel sacri­fi­ca­toire ! (Pour mémoire au-dessus de ladite porte trône un gong (ori­gine du nom de la bête ?) qui, activé, per­met d’attirer le gorille).

Autant le mur paraît dif­fi­ci­le­ment fran­chis­sable, autant la porte — dimen­sion­née s’il vous plaît en fonc­tion de la car­rure de la Bête — est faci­le­ment enfon­çable ! Bref, les insu­laires se défendent du monstre par la grâce d’un sys­tème qu’ils prennent bien soin d’affaiblir. Com­ment dire autre­ment que les vil­la­geois « dési­rent » mal­gré eux que Kong pénètre un jour dans l’arène cen­sé­ment pro­té­gée, pour expier une culpa­bi­lité pro­fon­dé­ment enfoui dans leur incons­cient col­lec­tif ? Plus sage qu’une image, le gorille ne défonce pas les portes quasi ouvertes, ce qui fait dire à Per­iáñez : « Mais qui est donc ce monstre de dis­ci­pline ? la Mère archaïque ? le Père toté­mique ? les pul­sions du Ça ? le Sur­moi divi­nisé ? le Grand Autre ? l’Inconscient au com­plet ? ». C’est que, via les sacri­fices rituels, ces hommes éli­minent en fait de la com­mu­nauté les indi­vi­dus qui les dérangent, par­faits boucs-émissaires. Un rituel auquel les tech­ni­ciens amé­ri­cains font entorse en débar­quant sur l’île et en remet­tant en cause sa « nor­ma­lité » pour les vil­la­geois. Le rem­pla­ce­ment des femmes tou­jours brunes par une femme pour une fois blonde (l’actrice cap­tu­rée) ne change rien à l’affaire : une fois « fra­cassé », le rituel est obso­lète. (Devant le pro­duc­teur qui ne se cache pas pour fil­mer la céré­mo­nie du sacri­fice dès que la troupe débarque sur l’île, le sor­cier indique : « La céré­mo­nie est finie parce que les étran­gers l’ont vue » en train de se dérou­ler). « C’est donc Fay Wray, en fait, le monstre, sou­ligne Per­iáñez : la totale nou­veauté de son alté­rité blon­dasse enfonce de solides défenses immé­mo­riales, codées dans le roc de l’éthologique chez Kong, et déclenche la cata[strophe] pas­sion­nelle chez ce brave gorille. »

Et le psy­cha­na­lyste de conclure son étude en notant que la sécu­rité appor­tée par le gorille à la jeune femme se donne comme l’emblème de la situa­tion psy­cha­na­ly­tique ! L’insolite de l’intrusion de l équipe ciné­ma­to­gra­phique répond donc à l’insolite d’un rite inhu­main ; ces deux trans­gres­sions invitent à un dépay­se­ment psy­chique par quoi se dit la névrose, la culpa­bi­lité, le remords — Per­iáñez sou­ligne fine­ment qu’ « en 1938, pra­ti­que­ment mou­rant, Freud écrit dans Résul­tats, Idées, Pro­blèmes : ” Avec le névrosé on est comme dans un pay­sage pré­his­to­rique, par exemple dans le Jura. Les grands sau­riens s’ébattent encore, et les prêles sont hautes comme des pal­miers ( ?) ” (GW XVII, 151). Sym­bole écla­tant mais que nul parmi les indi­gène ne per­çoit, la porte de King-Kong est l’élément philosophique-clef du film : indice archéo­lo­gique du sou­bas­se­ment du psy­chisme, de l’infinité duplice du Désir qui ne se dit qu’en ne se disant pas, qui ne se pose qu’en s’opposant, appe­lant une vio­lence autre, expli­cite, sous laquelle dis­si­mu­ler la sienne, aussi latente qu’immémoriale. Mani­fes­ta­tion artis­tique de la mau­vaise conscience de l’Amérique (nation répu­tée pour avoir chassé ses propres indi­gènes, les Indiens, du dedans fer­tile des prai­ries vers le dehors hos­tile des réserves, — éga­le­ment nombre de ses immi­grants gênants. Voir sur ce point le superbe film de Michaël Cimino : La Porte du Para­dis (dvd Fox Pathé Europa, août 2001) qui retrace l’histoire vraie de la bataille de John­son County, dans le Wyo­ming au cours de laquelle des mer­ce­naires enga­gés par de riches pro­prié­taires sou­te­nus par le gou­ver­ne­ment assas­sinent 125 immi­grant) King Kong, media d’expression nova­teur, exhume le pri­mi­tif refoulé, met au jour l’ancien oublié.

Un mes­sage tout autant archéo­lo­gique qu’anthropologique dans la mesure où cette in-quiétude eu égard au dénié ne vise qu’à expli­ci­ter que, brunes ou blondes, indo­né­siennes ou amé­ri­caines, indi­gènes ou pop star avant l’heure, toutes les femmes se valent. Qu’on ne doit, ni au nom du Désir ni au nom du confor­misme, les consom­mer en les ins­tru­men­ta­li­sant ou en les cho­si­fiant. C’est parce que la Belle est (aussi) la Bête que King Kong mérite d’être revu et repensé. Moins comme une illus­tra­tion du com­plexe de cas­tra­tion ou de la théo­rie du féti­chisme que comme un hymne à l’égalité fra­ter­nelle de tous les hommes (On en a d’ailleurs un exemple lorsque, Ann rame­née au vil­lage par Dris­coll, Kong revient dévas­ter le vil­lage : les Amé­ri­cains et les Indo­né­siens s’unissent alors spon­ta­né­ment pour la pre­mière fois face au dan­ger afin de conso­li­der la porte sur le point de rompre).

fré­de­ric grolleau

King Kong Mont­par­nasse édi­tions octobre 2001

Film amé­ri­cain de Merian C. Cooper & Ernest B. Schoed­sack (1933) Scé­na­rio : M. C Cooper, James A. Creel­man, Ruth Rose, d’après une idée d’Edgar Wal­lace Acteurs : Fay Wray, Robert Amstrong, Bruce Cabot, Mar­ga­ret She­ri­dan, Ken Tobey, Robert Corn­th­waite Pho­to­gra­phie : Eddie Lib­den, J.O Tay­lor, Ver­non Wal­ker Décor : Willis O’Brien, Car­roll Clark, Al Her­man. Musique : Max Stei­ner. Mon­tage : Ted Chee­se­man Pro­duc­tions : R.K.O.

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