Le titre du dernier livre de Philippe Forest est trompeur car l’auteur y prend le contrepied de l’emprise du moi. La nature du héros n’apparaît qu’à la fin du premier tiers du livre. Jusque là, un “je qui ça ?” (Beckett) ne cesse de rappeler que “toutes les histoires du monde traînent à terre”. Néanmoins, il ne suffit pas d’en ramasser une pour faire un roman.
Il faut un point de départ (ici l’histoire d’un peintre anglais pompier qui fut pris pour l’égal de Bacon) et surtout une écriture où, ici, le caractère autobiographique de beaucoup des romans de Forest change de cap.
Son “je” est vraiment un autre, et parler au sujet de ses livres d’autofiction serait dépréciatif. L’auteur a toujours su croiser histoire personnelle et fiction afin que, par cette dernière, la première prenne une valeur d’éternité. Car le style est là.
Forest est un romancier capable de dire et de montrer et montrer son dire dans ce théâtre intérieur mais aussi miroir d’un monde que devient la fiction.
En cela, il rejoint d’une certaine manière Kafka. Certes de manière moins éclatante. Mais beaucoup d’écrivains se contentent de beaucoup moins encore. Ici, les images de l’oubli retrouvent une forme de messianisme sans rien stigmatiser.
D’autant que Forest ne cherche pas à donner une solution à son histoire de portrait, entre peinture et politique. Au lecteur de se créer sa propre conclusion.
jean-paul gavard-perret
Philippe Forest, Je reste roi de mes chagrins, Gallimard, Paris, 2019, 188 p. — 19, 50 €.
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