Joseph Winkler, Le Livret du pupille Jean Genet

Un por­trait inabouti

Joseph Wink­ler, né en 1953, a grandi dans un vil­lage de Carin­thie où l’homosexualité devait res­ter cachée, et menait faci­le­ment au sui­cide. Il a décou­vert Jean Genet lorsqu’il avait vingt-deux ans, et en a conçu une fas­ci­na­tion par­ti­cu­lière : “Long­temps, je n’osai mon­trer les livres à qui­conque, au contraire, j’allai même jusqu’à ache­ter tous les volumes de Genet dis­po­nibles dans les librai­ries de Vil­lach et de Kla­gen­furt, espé­rant ainsi que nul autre que moi dans mon entou­rage ne puisse avoir entre les mains ces romans“ (p. 44).
On peut pen­ser que cette démarche ini­tiale dif­fère radi­ca­le­ment de celle qui consiste à écrire un ouvrage sur Genet, issu d’une enquête per­son­nelle, mais au fil des pages, le lec­teur s’aperçoit qu’il s’agit tou­jours, pour Joseph Wink­ler, de s’approprier son grand aîné, d’une façon ou d’une autre.

De fait, l’enquête ne nous révèle pas grand-chose concer­nant l’écrivain fran­çais : les décou­vertes se comptent sur les doigts d’une main, et consistent sur­tout en des faits sans grande por­tée, concer­nant notam­ment l’hôtel où Genet est mort et l’endroit où se trouve sa tombe (dif­fé­rents de ce qu’on croyait a priori).
Pour le reste, Wink­ler se can­tonne essen­tiel­le­ment à citer Genet, entre deux pas­sages auto­bio­gra­phiques, d’une manière vouée à pro­duire l’impression qu’ils sont en quelque sorte deux ver­sions du même psy­chisme. On veut bien l’admettre, et on trouve natu­rel que Wink­ler se sente comme une âme sœur de Genet : sans cela, il n’aurait cer­tai­ne­ment pas éprouvé le besoin de lui consa­crer un livre. Le pro­blème, c’est que les cita­tions de Genet contrastent, par la puis­sance et la beauté de leur écri­ture, avec les pas­sages qui les encadrent, nous rame­nant ainsi, conti­nuel­le­ment, au constat qu’il ne suf­fit pas d’avoir été trau­ma­tisé depuis l’enfance, ni ostra­cisé en tant qu’homosexuel, pour deve­nir un grand écrivain.

Cet effet mal­venu, que Wink­ler ne semble pas avoir prévu ni deviné au fil de son tra­vail, alors qu’il aurait dû le prendre en compte pour mieux réus­sir son entre­prise, nuit à l’intérêt qu’on peut éprou­ver par ailleurs pour le contenu du livre.
En tant que por­trait, il semble inabouti, d’autant plus que l’autoportrait qui prend le des­sus n’est pas assez atta­chant ni appro­fondi pour nous captiver.

agathe de lastyns

Joseph Wink­ler, Le Livret du pupille Jean Genet, tra­duit de l’allemand (Autriche) par Ber­nard Banoun, Ver­dier, sep­tembre 2019, 128 p. – 16,50 €.

Leave a Comment

Filed under Essais / Documents / Biographies, On jette !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>