Vanda Miksic & Jean de Breyne, des transports

Jeu de dupes

Ce livre est une suc­ces­sion d’ “envois”. L’un(e) écrit parce que l’autre vient de le faire. Cette cor­res­pon­dance entre deux poètes est l’occasion de nom­breux “trans­ports” (auto­bus, train, voi­ture, avion) mais pas seule­ment… Entre Vanda Mik­sic, la poé­tesse croate, et le poète fran­çais qui a déjà publié la pre­mière dans ses édi­tions de L’Ollave (Sels), la dis­cus­sion spa­tiale prend un carac­tère par­ti­cu­lier. Sans aller jusqu’à un De l’amour néo-stendhalien, ce jeu de “repons” est lar­ge­ment affec­tif et char­meur.
Les dif­fé­rences des deux écri­tures se tra­duisent par la police de carac­tère et par­fois dans le dépla­ce­ment du pro­nom per­son­nel (tu, vous, elle) là où les deux auteurs ont décidé d’écrire en français.

Tout appa­rem­ment tourne autour des voya­geurs et des pay­sages que les deux “écri­vants” ren­contrent et par­tagent. Sou­vent ils nous entraînent vers une sorte de déni. Car  les des­crip­tions ne sont qu’un moyen de noyer le pois­son de l’amour. Sou­vent le sous-texte affleure. Elle :“Vous ren­trez ? ou avez-vous sim­ple­ment obligé d’autres voya­geurs à faire des retours ?”. Lui, après avoir écrit ” Te tra­verses même / le lieu d’années”, ajoute “De retour à son siège n° 16 (…) A défait son chi­gnon chez che­veux / sont tom­bés sur ses épaules”.
Mais celle qu’il voit dans le bus devient une cosa men­tale, un moyen de par­ler de celle qui ne l’est pas mais l’écoute (et le lit).

Tout reste pré­texte non à un jeu de dupes mais de voiles là où Eve est prête à man­ger la pomme que “la bouche muette” de l’autre lui offre méta­pho­ri­que­ment. Cela devient un jeu à fleu­ret mou­cheté et doux. C’est pour­quoi l’homme écrit : “Per­sonne ne sait à quoi nous pen­sons / Per­sonne ni toi ce que je pense / Ni moi ce que tu penses”.
Les cor­res­pon­dants vou­draient nous faire dupes de leur comé­die roman­tique. A moins qu’ils sachent que nous n’ igno­rons rien de leur sépa­ra­tion et de leur rapprochement.

jean-paul gavard-perret

Vanda Mik­sic & Jean de Breyne, des trans­ports, Lans­kine, 2019, 88 p. — 14,00 €.

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