Nathalie Quintane, Crâne Chaud

Natha­lie Quin­tane entre Bri­gitte Lahaie et Ger­trud Stein

Il arrive qu’un salon de coif­fure devienne une étrange alcôve voire un maga­sin des curio­si­tés sen­so­rielles. Les mains d’une sham­poui­neuse y pro­posent des mas­sages qui se trans­forment en caresses… Le cer­veau s’en émeut mais, fidèle à sa fonc­tion pre­mière par­vient à faire « mieux com­prendre où peuvent se situer les points de fixa­tion du sen­ti­ment sexuel ». Le mot sexuel n’est pas inno­cent. Il va inner­ver ce livre qui, fidèle à ceux qui le pré­cèdent, va par sauts et gam­bades en pla­çant la por­no­gra­phie au centre de son dis­po­si­tif. Une por­no­gra­phie décom­plexée où l’artiste se per­met bien des digres­sions. Elles sont sans doute aussi intem­pes­tives que per­ti­nentes comme lorsqu’elle com­pare l’élasticité du sexe d’une vierge et l’anus d’un vieillard… Le tout sous cou­vert d’une ana­lyse « scien­ti­fique » déso­pi­lante.
L’humour tient aussi dans la confla­gra­tion des per­son­nages en pré­sence : Bri­gitte Lahaie croise Ger­trud Stein par l’intermédiaire de la nar­ra­trice ! Celle-ci pro­fite de la sur­chauffe de sa boîte crâ­nienne pour jeter cul par-dessus tête les sché­mas fami­liaux plus que chiants : para­noïaques. Mais une nou­velle fois, l’auteure fait abs­trac­tion de toute démons­tra­tion. Et en dépit du sujet, l’auteur évite autant le tri­vial du genre hard­core que la subli­ma­tion bataillienne du sexe. Divers types de confla­gra­tions viennent mettre à mal une cer­taine obses­sion du sexe que néan­moins l’auteure reven­dique depuis sa prime jeu­nesse : « A douze ans on ne pense qu’à ça, inter­rompu par les dic­tées ». Et le temps n’arrange pas les choses. Au contraire.

Dans l’accumulation de réfé­rences savantes, de moments d’émissions popu­laires, de sou­ve­nirs per­son­nels, loin de tout confort intel­lec­tuel, moral et social, la nar­ra­trice dit son éton­ne­ment. Il la conduit à ouvrir les pla­cards que la plu­part pré­fèrent voir fer­més. Pour autant, ce n’est pas le ter­ri­fiant qui en sort. Mais, à l’inverse, une clarté jouis­sive. Le beau, le bien touchent et alarment ce qui se passe sous le bulbe des che­veux et dans des régions secrètes essen­tielles.
Natha­lie Quin­tane traite la sexua­lité comme un symp­tôme et construit son livre telle une « cli­nique » plus poli­tique et cri­tique qu’il n’y paraît. Il ne s’agit pas dans cette cli­nique de pro­po­ser un simple « lif­ting » des images anté­rieures, il s’agit de pro­vo­quer une trans­for­ma­tion du symp­tôme cor­po­rel sans pour autant culti­ver une dimen­sion pla­to­ni­cienne ou, à l’inverse, nietz­schéenne de l’art. L’écrivain montre en nous notre faculté d’assomption mais aussi la bête qui som­meille, bref le pou parmi l’époux.

Par sa ” Cavale” — pour reprendre un de ses titres — l’auteur sur­prend une fois de plus car elle n’est pas là où l’attendait for­cé­ment. Il arrive qu’à l’image de sa nar­ra­trice Natha­lie Quin­tane perde la bous­sole. Et c’est tant mieux. Elle reprend ici son prin­cipe pre­mier “Je ne fais pas de plan, même si ponc­tuel­le­ment il peut y avoir pro­gram­ma­tion”  par un énoncé logique : “ça ET ça OU ça mais PAS ça” (entre­tien avec Flo­rine Leplâtre in « Inventaire-Invention »).
A coup d’ellipses ou de digres­sions par­fois énormes « comme la fosse des Mariannes » sur­git aussi une autre « obs­cé­nité ». L’auteur pirate la rhé­to­rique actuelle. Elle rend caduques les lec­tures psy­cha­na­ly­tiques de la por­no­gra­phie et choi­sit une stra­té­gie du tsu­nami : “Il faut que ça déborde aussi, et de fait ça déborde. J’essaie de tenir compte du fait que ça déborde”, précise-t-elle.

Un tel livre est donc rare car il ren­verse bien des visions por­no­gra­phiques tra­di­tion­nelles et basiques. Chargé de ses digres­sions, il refuse avec humour toute cris­tal­li­sa­tion des pro­cé­dés de style. Par effet de sham­poing, le livre devient un opéra, une opé­ra­tion donc une ouver­ture. L’auteur donne ainsi l’exemple par­fait de la lit­té­ra­ture du déca­lage ; pas éton­nant dès lors qu’elle voue une admi­ra­tion aux irré­gu­liers de la langue, tels que Arthur Cra­van hier ou Valère Nova­rina aujourd’hui, bref à tous ceux qui posent l’écriture au sein d’un “arran­ge­ment” plus large, qui la com­prennent dans et par autre chose. C’est avec ce désir et cette inten­tion que la lit­té­ra­ture reste une méca­nique du vivant qui fait sau­ter les portes closes. Et sou­dain les poux grattent dans la tête.

jean-paul gavard-perret

Natha­lie Quin­tane, Crâne Chaud, POL, Paris, 224 p.- 14,50 euros

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