Jacques Brou, La Histoire du hommenfant

L’enfan­tôme

Renver­sant la langue, lui fai­sant des enfants dans le dos, en coin­çant les genres et étê­tant la séman­tique, Jacques Brou écrit le solo d’un fan­tôme. Il en fait son propre auto­por­trait au neutre par-delà le temps qui, au fil des lignées, l’a can­ni­ba­lisé. Cette pré­sence est à la fois trouble et aveu­glante entre frag­ments et plans où l’auteur comme Beckett (dans L’image) arrive — au temps der­nier — à un “Voilà, j’ai fait l’image”.
Mais en celle-ci ne sub­siste plus de point de fuite. L’expérience du regard ne ren­voie qu’à celui qui regarde/lit et est regardé.

L’auteur s’éloigne de tout effet de rap­pro­che­ment et d’identification. Nul regard ne se croise, nul regard entre­croisé n’est même envi­sagé. Per­sonne ne s’appartient en propre dans cette sorte de quasi-androgynie lourde du poids de l’invisible et de l’origine. Elle échappe au temps comme l’être finit par échap­per à l’histoire.
Un tel miroir lit­té­raire est d’autant plus ter­ri­fiant qu’il reflète une image impos­sible : celle d’une jeu­nesse qui devient une brèche ouverte. Elle tranche par la clarté lumi­neuse mais noire qui l’accompagne.

Cette pré­sence para­doxale reste capi­tale. Elle maté­ria­lise — un bref ins­tant — la figure certes fugi­tive mais à tra­vers laquelle le temps peut se gre­ver de  son poids de néant en un sym­bole d’un germe de vie que le fils appor­te­rait au père et à ses ancêtres. Mais il ne suf­fit sans doute plus de faire venir ce fils “paso­li­nien”, ce fils perdu ou cet ange exter­mi­na­teur.
Il doit à nou­veau s’évaporer car son hypo­thèse vague n’est que “piège laisse ima­gi­ner au homme piégé”.

Néan­moins, dans la matrice de l’image, dans cette coquille roma­nesque quelque chose tra­vaille, quelque chose bouge encore un peu. Tout semble sug­gé­rer un — der­nier — appel au moment où “le hom­men­fant” brus­que­ment et en dépit de tout vou­lait faire céder l’être ou le non-être. Mais cet appel — autant intense que muet — ne peut être perçu.
Le silence se dit dans un para­digme de l’impuissance qui se pour­suit dans le manque comme seule et para­doxale pos­si­bi­lité “inau­gu­rale. Celle-ci est refou­lée à mesure qu’elle semble se dire jusqu’au point ter­mi­nal où se trans­met la mort plus que la vie. Si bien que le hom­men­fant n’est qu’un “enfan­tôme”. Il ne peut offrir la levée de la nuit dans laquelle rôdent d’autres fantômes.

Au seuil du livre, il est expulsé comme sans doute il fut expulsé du monde au moment de sa naissance.

lire notre entre­tien avec l’auteur

jean-paul gavard-perret

Jacques Brou, La His­toire du hom­men­fant, Tin­bad Roman, Edi­tions Tin­bad, Paris, 2019,  144 p. — 19,00  €.

(Les cita­tions semblent alté­rées mais elles sont pré­ci­sé­ment celles du texte de Brou).

2 Comments

Filed under Chapeau bas, Romans

2 Responses to Jacques Brou, La Histoire du hommenfant

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>